Chapitre 3 Concurrence et monopole

À retenir

Différents modèles de concurrence existent en fonction du nombre d’offreurs (vendeurs) et du nombre de demandeurs (acheteurs), depuis la concurrence pure et parfaite (CPP) jusqu’au monopole. Un marché en CPP est défini par quatre conditions dont la réalisation garantit l’«isolement stratégique» des agents qui y opèrent, c’est-à-dire une situation dans laquelle il n’existe aucune interaction consciente entre les choix décidés par ceux-ci. À l’opposé, la principale caractéristique visible d’une entreprise en situation de monopole est qu’elle est seule sur un marché en un lieu donné et en un temps donné pour offrir un produit ou un service.

3.1 Introduction

La principale caractéristique des économistes néoclassiques est d’avoir introduit l’outil mathématique dans la science économique classique. L’optimisation, le calcul des équilibres sont ainsi devenus accessibles aux économistes qui en parlaient pourtant depuis la fin du xviiie siècle. Les mots d’Adam Smith ont été transformés en variables par Cournot, Marshall, Edgeworth, Walras, Robinson, Chamberlin et bien d’autres auteurs jusqu’à nos jours. Toutefois, comme pour toute science qui révise ses bases avec un nouvel outil, les débuts de l’utilisation de la logique mathématique ont amené des résultats analysés parfois sans le recul nécessaire. Des constructions mentales et des réglementations visant à atteindre des objectifs désirables par tous et savamment démontrés en ont découlé.

À titre d’illustration, le concept de concurrence pure et parfaite (CPP) est apparu. Représentant une structure de marché particulière, il forçait les entreprises à produire au coût marginal. Zéro profit économique, mais un surplus social maximum. Le tableau 3.1 énumère les 20 plus grandes compagnies des États-Unis qui, en 2012, n’étaient toujours pas cotées (ou privées, au sens nord-américain du terme) (Ritholtz 2012). Elles sont à la fois un symbole de la réussite familiale et de l’initiative privée dans un monde de forte concurrence par des entreprises cotées (ou publiques, au sens nord-américain du terme), mais elles peuvent aussi être vues comme des entreprises en situation parfois de monopole dans leurs secteurs respectifs, ou en tout cas des entreprises dominantes pour certaines.

Table 3.1: Les 20 plus grandes entreprises américaines non cotées en 2019 (chiffre d’affaires en milliards de dollars)
Rang Companie État Industrie Chiffre d’affaires Employés
1 Cargill Minnesota Food, Drink & Tobacco 113.5 160000
2 Koch Industries Kansas Multicompany 110.0 130000
3 Albertsons Idaho Food Markets 60.5 267000
4 Deloitte New York Business Services & Supplies 46.2 310000
5 PricewaterhouseCoopers New York Business Services & Supplies 42.4 276000
6 Mars Virginia Food, Drink & Tobacco 37.0 115000
7 Ernst & Young New York Business Services & Supplies 36.4 100000
8 Publix Super Markets Florida Food Markets 36.1 202000
9 Reyes Holdings Illinois Food, Drink & Tobacco 30.0 33000
10 Pilot Flying J Tennessee Convenience Stores & Gas Stations 29.0 26050
11 H-E-B Texas Food Markets 28.0 116000
12 C&S Wholesale Grocers New Hampshire Food, Drink & Tobacco 27.0 15100
13 Enterprise Holdings Missouri Services 25.9 100000
14 Bechtel Virginia Construction 25.5 55000
15 Cox Enterprises Georgia Media 21.0 55000
16 Fidelity Investments Massachusetts Diversified Financials 20.4 40000
17 Love’s Travel Stops & Country Stores Oklahoma Convenience Stores & Gas Stations 20.0 25000
18 Southern Glazer’s Wine & Spirits Florida Food, Drink & Tobacco 19.0 22000
19 Meijer Michigan Food Markets 17.8 80000
20 JM Family Enterprises Florida Consumer Durables 16.3 4351

Source: Forbes. America’s Largest Private Companies.

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Harrod aurait pu être le premier à publier en 1928 un article démontrant qu’il était possible de décomposer la courbe de demande agrégée en une courbe de revenu marginal, ouvrant la voie à l’analyse mathématique du monopole. Dans The Life of John Maynard Keynes, Harrod (1951) se rappelle:

J’ai soumis [à J. M. Keynes] un court article, démontrant ce que j’appelais “incrémentation de la courbe de demande agrégée”.

Il semble que le zèle de Keynes retarda la publication de l’article à l’année 1930 (Lopez 2003). Dans son article sur Harrod, Eltis Eltis (1987) explique que si l’article avait été publié en 1928, Harrod aurait eu la primauté sur la démonstration de la courbe de revenu marginal. Mais Yntema (1928) fut le premier à faire connaître la droite (ou courbe) de revenu marginal dans un journal de langue anglaise. Pourtant, la courbe semble avoir été inventée quelque dix ans plus tôt. Lopez (2003) a fait une découverte rare en science économique et donne la primauté à Théodore de Bustamante, un ingénieur argentin qui écrivit un court livre en 1919, avec une préface datée du 4 décembre 1918, dans lequel il explique que la courbe de demande agrégée pouvait donner lieu à une courbe de revenu spécifique. Le diable est dans les détails.

La lecture du monde réel par les empiristes et la constatation du fait que les structures de marché n’étaient jamais du type concurrentiel pur ont donné jour à la «théorie des défaillances de marché». Des entreprises pouvaient avoir des positions jugées dominantes et en abuser. Des monopoles pouvaient exister. Des profits pouvaient être élevés, diminuant d’autant le surplus social. Des politiques industrielles ont donc été pensées et ont donné naissance à des réglementations censées éviter toutes ces défaillances. Des lois antitrust américaines aux lois sur la concurrence canadiennes, on en arrive maintenant aux lois anti-concentration européennes. Cette évolution s’est aussi faite dans la compréhension des concepts. La théorie économique s’appuie aujourd’hui davantage sur les conditions d’accès au marché mises en lumière par la théorie des marchés contestables que sur la structure du marché lui-même.

Dans les faits, aux phases d’interventionnisme croissant de l’État dans la sphère économique succède aujourd’hui un interventionnisme différent, plus proche des préceptes de l’économie industrielle moderne. La concurrence pure et par-faite n’existe pas, ce qui ne retire pas les avantages du «processus concurrentiel». Et son contraire, le monopole, perd aussi beaucoup de poids. La réalité repose donc davantage sur le concept d’entreprise dominante représentant une structure de marché qui évolue entre la concurrence pure et parfaite et le monopole.

Les entreprises technologiques : «vraie» concurrence?

«Quelques multinationales, autrefois start-up sympathiques, sont devenues en quelques années les acteurs d’un oligopole qui régit le cœur informationnel de nos sociétés au point qu’un acronyme leur soit désormais dédié : GAFAM, constitué des premières lettres de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft». Se font-elles concurrence ? YouTube (Google) a très peu de concurrents, Facebook et Instagram (Facebook) non plus. Google Search est l’unique moteur de recherche utilisé. Les monopoles ne semblent pas exister au niveau des produits (téléphones, ordinateurs, télévisions, etc) mais plutôt au niveau des plateformes et site webs (avec l’exception des services de streaming qui sont encore relativement nouveaux). Mais même la concurrence au niveau des produits a connu un déclin (téléphones: Microsoft, Blackberry, Nokia, Motorola, etc).

Source: Nikos Smyrnaios (2016)

3.2 Concurrence

On lira avec intérêt la revue de littérature réalisée par Milgrom and Roberts (1988). La main invisible d’Adam Smith (1776) permet l’organisation optimale de la coordination des actions individuelles. Le mécanisme de prix est le vecteur qui assure cette coordination. Dans la tradition de l’économie politique, deux voies peuvent être tracées. La première est que le marché doit être aussi «pur et parfait» que possible. En d’autres termes, les distorsions doivent être évitées, notamment celles qui découlent de politiques économiques régulatrices. À l’inverse, la seconde est que l’utilisation du mécanisme de marché est coûteuse – ce sont les coûts de transaction de (???);– et qu’en plus il y a parfois des échecs de marché. Les réglementations et les politiques économiques trouvent ici toute leur justification afin d’améliorer l’efficacité des mécanismes de marché. Loin d’être contraire au principe même du marché, le capitalisme moderne doit utiliser les politiques économiques afin d’approcher autant que faire se peut l’idée de concurrence pure et parfaite. Cette interprétation met l’accent sur l’idée que la concurrence pure et parfaite n’existe pas

3.2.1 Origines de la notion moderne de concurrence

Cette idée n’est pas nouvelle. Déjà en 1913, Agger (1913) explique que «la concurrence s’arrêtera, parce qu’elle contient en elle-même les graines de sa propre destruction». Le premier à avoir opposé un concept à celui de concurrence est Augustin Cournot, en 1838 (Cournot 1838). Ensuite vint Alfred Marshall qui, dans la préface à ses Principles of economics déclarera avoir travaillé «guidé par Cournot» (A. Marshall 1890b). Les articles de Viner (Viner 1921) et Sraffa (Sraffa 1926) suggéraient d’étendre l’analyse du monopole pour couvrir les cas où la demande a une pente négative, que l’offre du produit consiste en une seule entreprise ou plusieurs.

Hicks (1911) remet en question l’opposition entre la concurrence pure et parfaite et le monopole. Selon lui, le prix de concurrence est le résultat de la libre concurrence et est égal au coût de production; le prix de monopole est déterminé par des profits plus importants, et le fait que le vendeur ait quelque contrôle sur sa détermination. Chamberlin (1937) quant à lui, propose une nouvelle catégorisation des structures de marché. Pour lui, la concurrence monopolistique est la notion dominante. Il estime que «la concurrence monopolistique est un [défi] au point de vue traditionnel de la Science Économique selon laquelle la concurrence et le monopole sont des alternatives» (Chamberlin 1937). Il explique que la plupart des situations sont des composites de monopole et de concurrence, ce qu’il définit comme la concurrence monopolistique. Dans cet article de 1937, il met au goût du jour un débat déjà commencé par la publication de l’ouvrage de Joan Robinson (1933) intitulé The economics of imperfect competition, ainsi que, de son propre ouvrage The theory of monopolistic competition (Chamberlin, 1933). Il s’oppose à la notion de concurrence imparfaite parce qu’elle s’étend entre la concurrence pure et parfaite et le monopole. Considérant que la concurrence et le monopole ne sont pas des modèles réalistes, et n’étant pas satisfait de la définition de la concurrence monopolistique trop restrictive à la notion de tangence entre la droite de revenu moyen et la courbe de coût moyen (Chamberlin 1937), il préfère utiliser la notion de concurrence monopolistique dans un sens exclusif. Pour renforcer sa démonstration, Chamberlin (1937) ajoute que bien souvent la notion de «liberté d’entreprendre» est associée à celle de «concurrence», quand bien même la liberté d’entreprendre mène plus souvent à des situations de concurrence monopolistique qu’à des situations de concurrence pure et parfaite.

Cet article ne laissera pas indifférent. Prenant le parti de Robinson, Kaldor (1938) interviendra dans le débat. Il proposera de garder les deux termes et de les utiliser distinctement:

Le terme “concurrence imparfaite” peut être réservé pour des situations où il n’y a pas d’éléments caractéristiques du monopole (i.e., où il y a liberté totale d’entrée et la limitation est due aux économies d’échelle dans la production); alors que “concurrence monopolistique” référerait aux situations où la limitation est due à des éléments caractéristiques du monopole (i.e., aux barrières à l’entrée).

Il est intéressant de noter que la littérature a gardé les deux notions, sans toutefois conserver la définition de Kaldor. Aujourd’hui, la concurrence imparfaite intègre la concurrence monopolistique comme un de ses éléments aux côtés du cartel et de l’oligopole non coopératif, ou du modèle de la firme dominante. On peut également constater que la définition de la concurrence monopolistique donnée par Kaldor ressemble aujourd’hui à la définition d’un monopole naturel sur un marché où il y a libre entrée. D’ailleurs, Chamberlin (1938) sautera sur cette définition dans sa réponse à Kaldor en insistant sur le fait qu’il accepte l’idée que la concurrence monopolistique définisse des situations où il y a des éléments de monopole, mais s’interroge sur la place qu’il reste à la concurrence imparfaite de Robinson. Dans un article publié en 1951, Chamberlin (1951), définit la notion de concurrence monopolistique comme il aimerait la voir utiliser:

La théorie que je propose ne s’attarde pas sur une forme de marché particulière, comme cela a pu être supposé […]. Elle inclut tous les monopoles et les éléments de monopole présents dans le système économique. De la même façon, elle inclut toute la compétition, si les rares cas de concurrence pure peuvent être regardés comme des cas spéciaux où les éléments de monopole sont absents. C’est un mélange de deux théories, chacune d’entre elles ayant été développées dans l’analyse économique sous des conditions parfaites. Ça n’est donc une théorie des “imperfections” en aucune façon, mais une théorie générale, dont l’objet est remplacé par celle de concurrence pure (de Marshall ou de Walras, par exemple) comme point de départ et comme base d’analyse de l’économie entière (Chamberlin 1951)

La tâche n’est pas aisée. Bâtir une théorie générale en mettant de côté 100 ans d’utilisation des concepts, depuis Cournot (Cournot 1838) , est pratiquement mission impossible. (Nicols 1947) viendra défendre à l’extrême l’utilité de la notion de concurrence pure et parfaite et contredira Chamberlin sur le fait que même la différenciation de produit n’empêchera pas l’équilibre de concurrence pure et parfaite. Robinson (1953) elle-même viendra défendre la notion de concurrence imparfaite et s’étonnera de ne pas voir davantage d’articles non pas sur la sémantique, mais sur les causes de l’origine des monopoles. Elle reprendra l’analyse du cycle de vie de Marshall, notant que la véritable faiblesse de la notion de concurrence imparfaite en 1933 était très certainement l’absence de prise en compte du temps, en termes modernes, de la dynamique.

Les analyses théoriques de l’économie néoclassique portant sur le marché étaient à l’origine (milieu du xixe siècle) axées sur deux modèles: la concurrence pure et parfaite (très grand nombre d’offreurs) et son contraire, le monopole (un seul offreur). À mi-parcours entre la concurrence pure et parfaite et le monopole, la concurrence imparfaite représente la structure de marché la plus réaliste. Les entreprises n’ont pas intérêt à se retrouver nombreuses sur un marché (oligopole). Leur intérêt évident est d’essayer de s’approprier une part de marché et de la conserver. Et l’ensemble des stratégies mises en place pour tenter de s’éloigner des hypothèses de la concurrence pure et parfaite et de se rapprocher de celles du monopole est décrit par le concept de concurrence imparfaite.

Le tableau 3.2 fournit un résumé des modèles de la concurrence sur un marché, en fonction du nombre d’offreurs (vendeurs) et du nombre de demandeurs (acheteurs).

Table 3.2: Modèles de concurrence en fonction du nombre de vendeurs (offreurs) et d’acheteurs (demandeurs)
Nombre d’offeurs Un demandeur Quelques demandeurs Un grand nombre de demandeurs
Un offreur Monopole (bilatéral) Monopole (contrarié) Monopole
Quelques offreurs Monopsone (contrarié) Oligopole Oligopole
Un grand nombre d’offreurs Monopsone Oligopsone Concurrence pure et parfaite

Dans la suite du chapitre, nous allons présenter la concurrence pure et parfaite (un grand nombre d’offreurs) et le monopole (un seul offreur).

3.2.2 Hypothèses de la concurrence pure et parfaite

Un marché en concurrence pure et parfaite (CPP) est défini par quatre conditions dont la réalisation garantit l’«isolement stratégique» des agents qui y opèrent, c’est-à-dire une situation dans laquelle il n’existe aucune interaction consciente entre les choix décidés par ceux-ci.

La première condition veut que le nombre d’offreurs et de demandeurs soit très élevé. Ainsi, chacun d’eux ne peut escompter influencer le prix auquel l’échange sera effectué (preneur de prix). C’est l’hypothèse d’atomicité.

La deuxième condition impose l’absence de barrières à l’entrée sur le marché à des candidats offreurs ou demandeurs. Ainsi, le nombre d’opérateurs peut augmenter aussi longtemps qu’un offreur ou un demandeur potentiel trouve avantage à devenir opérateur effectif; la libre entrée de nouveaux concurrents assure l’accroissement du nombre d’opérateurs sur le marché. À la libre entrée, il faut associer la libre sortie. On parle alors de l’hypothèse de libre entrée/libre sortie sur le marché.

La troisième condition garantit que l’échange concerne un bien homogène. Ainsi, les biens échangés étant parfaitement substituables, tous les échanges sur le marché se réalisent au même prix; sans quoi les demandeurs, étant indifférents entre les produits proposés par les vendeurs, tenteraient tous d’acheter chez l’offreur offrant le prix le plus faible, obligeant les autres offreurs à diminuer le leur. C’est l’hypothèse d’homogénéité du produit.

Enfin, la quatrième condition garantit que tous les agents économiques disposent de l’information parfaite sur la distribution des prix pratiqués. Ainsi, la cohabitation de plusieurs prix différents est impossible: si tous les prix n’étaient pas égaux, l’information parfaite conduirait tous les demandeurs à s’adresser à l’offreur pratiquant le prix le plus faible; les concurrents seraient alors contraints à aligner leurs prix sur celui-ci. C’est l’hypothèse d’information parfaite.

3.2.3 Détermination du choix optimal et de la fonction d’offre en concurrence pure et parfaite

Des quatre hypothèses précédentes, il découle que le prix est une donnée exogène fixée par le marché. L’offre de la firme sur le marché ne modifiera pas le prix en raison de l’hypothèse d’atomicité.

Conséquences sur le prix de marché. Sur un marché, le prix est le résultat de la confrontation entre l’offre et la demande. Poser l’égalité de l’offre et de la demande permet de déterminer la quantité d’équilibre sur le marché et le prix de vente.

L’offre est une fonction croissante du prix:

\[\begin{equation} O=f(P) \tag{3.1} \end{equation}\]

et la demande est une fonction décroissante du prix:

\[\begin{equation} D=g(P) \tag{3.2} \end{equation}\]

Or, il est de coutume de représenter l’offre et la demande inverses, c’est-à-dire de les représenter sur un graphique ayant \(Q\) pour abscisse, et \(P\) pour ordonnée (fig.3.1). L’offre inverse est donc égale à \(P=f^{-1}(O)\), et la demande inverse est égale à \(P=g^{-1}(D)\).

Graphique de l’offre et de la demande.

Figure 3.1: Graphique de l’offre et de la demande.

La conséquence des hypothèses de la CPP sur le marché revient à dire que, quelle que soit la quantité offerte par l’entreprise (\(O,~O′ ~ \text{ou} ~ O′′\)), le prix sur le marché ne changera pas. L’entreprise n’a pas de pouvoir sur le marché. Cette proposition correspond donc à une droite de demande parfaitement horizontale. On dit qu’en situation de concurrence pure et parfaite, l’entreprise est «preneuse de prix» (fig.3.1).

Demande horizontale dans le modèle de la concurrence pure et parfaite.

Figure 3.2: Demande horizontale dans le modèle de la concurrence pure et parfaite.

Maximisation du profit et courbe d’offre. Dans cet environnement, l’entreprise va chercher non pas à produire au maximum de ses capacités, mais à maximiser son profit compte tenu des prix sur le marché.

Le profit est la différence entre le chiffre d’affaires, ou la recette totale (RT), et le coût total de production (CT):

\[\begin{equation} Π =RT – CT \tag{3.3} \end{equation}\]

La recette totale est le produit du prix de vente et des quantités produites, c’est-à-dire:

\[\begin{equation} RT=P×Q \tag{3.4} \end{equation}\]

Pour obtenir la maximisation du profit, on étudie les conditions nécessaires du 1er ordre (dérivée première nulle) et du 2e ordre (dérivée seconde strictement négative):

\[\begin{equation} max{P \times Q - CT_Q} \iff \frac{d(P \times Q)}{dQ} - \frac{d(CT_Q)}{dQ} \tag{3.5} \end{equation}\]

\[\begin{equation} \text{d’où } P – Cm= 0 \rightarrow P=Cm \tag{3.6} \end{equation}\]

La dérivée de la recette totale est égale au prix. En effet, en CPP, le prix est une constante et ne dépend donc pas des quantités offertes par l’entreprise. Pour que le profit admette un extrémum, il faut que le coût marginal soit égal au prix de vente du produit. De plus, pour que cet extrémum soit un maximum, il faut que la dérivée seconde soit strictement négative:

\[\begin{equation} \frac {d^2\Pi_Q} {dQ^2} <0 \iff 0 - \frac{d(CT_Q)}{dQ} <0 \iff \frac{d(CmQ)}{dQ} > 0 \tag{3.7} \end{equation}\]

Ainsi, pour que la fonction de profit admette un maximum, il suffit que le coût marginal soit croissant. Si la condition du 1er ordre est vérifiée pour plusieurs niveaux de production (cas d’une courbe de coût marginal en U), cette condition indique que seule la solution de la partie croissante est acceptable. Sur le graphique de la figure 3.3, bien qu’il y ait deux niveaux d’extrants pour lesquels le prix est égal au coût marginal, \(q_1\) et \(q^*\), la quantité offerte qui maximise le profit est celle qui est située sur la partie croissante du coût marginal: \(q^*\).

Détermination graphique de la courbe d’offre.

Figure 3.3: Détermination graphique de la courbe d’offre.

De ces deux conditions, on obtient que la courbe d’offre d’une entreprise concurrentielle correspond à la partie croissante de la courbe de coût marginal (en réalité, il s’agit de la courbe d’offre inverse).

L’équilibre de l’entreprise en CPP apparaît lorsque \(P=Cm\), ou \(RM=P\); donc, d’une façon générale, l’équilibre peut se noter: \(P=RM=Cm\). La recette moyenne étant la demande et le coût marginal étant l’offre, il est logique d’avoir pour situation d’équilibre l’égalité entre l’offre et la demande.

Détermination du profit. Il faut cependant introduire une distinction entre le court terme et le long terme. Le coût total se décline en coûts fixes et en coûts variable;

\[\begin{equation} CT=CF+CV \tag{3.8} \end{equation}\]

À court terme, on ne considère que les coûts variables: on ne cherche pas à rentabiliser les coûts fixes, mais à payer les salaires, les factures d’électricité, etc. Par conséquent, cela aura forcément un impact sur le calcul du profit.

Profit à long terme. Le profit à long terme correspond à la différence entre la recette totale et le coût total. On sait déjà comment déterminer la quantité q* qui maximise les profits en respectant la condition \(P=Cm\).

  1. La recette totale est égale au produit \(P^* ×q^*\), ce qui représente l’aire du rectangle ombré dans le graphique de la figure 3.4.
Détermination graphique de la recette totale.

Figure 3.4: Détermination graphique de la recette totale.

  1. Le coût total à long terme (\(CF+CV\)) est égal au produit \(CM (q^*) ×q^*\), ce qui représente l’aire du rectangle ombré dans le graphique de la figure 3.5.
Détermination graphique du coût total.

Figure 3.5: Détermination graphique du coût total.

Le profit correspond donc simplement à la différence entre ces deux aires (fig. 3.6).

Détermination graphique du profit.

Figure 3.6: Détermination graphique du profit.

On s’aperçoit que l’entreprise est profitable dès que la quantité qui maximise le profit q* dépasse le minimum du coût moyen. En deçà, elle fait des pertes (fig. 3.7).

Exemple de structure de coûts qui conduit à des pertes.

Figure 3.7: Exemple de structure de coûts qui conduit à des pertes.

Profit à court terme. Le profit est égal à la différence \(RT – CT\). Cependant, à court terme, le coût total ne prend en compte que la partie variable des coûts: \(CT=CV\). On fait abstraction des coûts fixes qui seront payés ultérieurement (par exemple le remboursement de l’emprunt qui a permis la construction de l’entrepôt à la fin de l’année). Le coût total est donc égal à \(CVM×q^*\), ce qui donne le profit à court terme du graphique de la figure 3.8.

Exemple de structure de coûts qui fait des profits à court terme.

Figure 3.8: Exemple de structure de coûts qui fait des profits à court terme.

On constate que l’entreprise est profitable dès que la quantité qui maximise le profit q* dépasse le minimum du coût variable moyen. En deçà, elle fait des pertes.

Si la décision de production q* se situe entre le minimum du coût moyen et le minimum du coût variable moyen, cela signifie que l’entreprise fait des pertes à long terme, mais qu’elle réalise des profits à court terme (fig. 3.9). Elle rentabilise les coûts variables, mais ne vend pas suffisamment pour rentabiliser les coûts fixes. Ce genre de décision est parfois délibéré et peut relever d’une stratégie de dumping.

Exemple de structure de coûts qui fait des profits à court terme, mais des pertes à long terme.

Figure 3.9: Exemple de structure de coûts qui fait des profits à court terme, mais des pertes à long terme.

Profit à long terme et dynamique de marché.Étant donné que l’on est en situation de concurrence, il y a libre entrée, libre sortie sur le marché. Ce qui va motiver de nouveaux entrants, c’est évidemment l’occasion de saisir des profits. Si une entreprise réalise des profits, alors elle incitera de nouvelles entreprises à entrer sur le marché. Ce cercle «vertueux» pour le consommateur et «vicieux» pour les entreprises se poursuivra jusqu’au moment où les entreprises ne feront plus de profit. C’est le minimum du coût moyen. En dessous du coût moyen, les entreprises font des pertes; au-dessus, elles attirent de nouvelles entreprises. Ainsi, à long terme, en situation de CPP, les profits des entreprises sont nuls et elles produisent toutes au minimum du coût moyen (fig. 3.10).

Profits nuls à long terme en CPP.

Figure 3.10: Profits nuls à long terme en CPP.

Distinction entre profit économique et profit comptable. À ce stade de l’analyse, on peut introduire une distinction entre la notion de profit économique et celle de profit comptable. En effet, il paraît curieux de produire sans pourtant tirer des profits de cette production. En réalité, en CPP, et même à long terme, les entre-prises font des profits, mais ce sont des profits comptables. Les profits économiques sont, quant à eux, nuls. Pourquoi ? Les coûts pour les économistes sont des coûts d’opportunité, c’est-à-dire la somme des coûts directs et des coûts de renoncement à d’autres investissements. Pour les gains (ou profits), le raisonnement est symétrique. Les entreprises ne font des gains que si elles parviennent à dépasser leurs coûts d’opportunité.

Investir dans les marchés financiers ou créer une entreprise?

Prenons l’exemple d’un individu qui veut investir un million de dollars canadiens. Il peut le faire sur le marché financier qui lui rapportera 10 % ou il peut créer une entreprise avec un avenir incertain: soit il gagne 20 % (situation A), soit il gagne 5 % (situation B). Ces gains sont purement comp-tables. Les gains économiques liés à la création de l’entreprise se mesurent par rapport au coût d’opportunité de créer cette entreprise. Le coût d’opportunité de créer l’entreprise implique de renoncer à une rentabilité certaine de 10 % sur le marché financier et est ainsi égal à 100 000 dollars canadiens. Les profits économiques de l’activité entrepreneuriale sont donc de \(20 – 10 = 10 \%\) si la situation A se produit et de \(5 – 10 = –5 \%\), c’est-à-dire des pertes économiques, si la situation B se produit.

Seuil de fermeture et seuil de rentabilité. Il est de coutume d’appeler «seuil de fermeture» le niveau en deçà duquel la firme décidera de ne plus produire. Ce seuil correspond au minimum du coût variable moyen.

Le seuil de rentabilité correspond au point pour lequel le coût moyen de production correspond au prix de vente. C’est le minimum du coût moyen.

3.2.4 Limites de la concurrence pure et parfaite

Une des difficultés qu’éprouve le professeur quand il expose la théorie de la concurrence pure et parfaite est de trouver un exemple concret d’un marché remplissant l’ensemble des conditions précédentes. En effet, quel que soit l’exemple choisi, il semble toujours qu’au moins une de ces conditions n’est pas respectée.

Dans quel marché demandeurs et offreurs sont-ils si nombreux qu’aucun d’eux ne peut isolément prétendre influencer le prix (1re condition)? Sans doute, il ne viendrait pas à l’esprit d’un client isolé de discuter le prix du litre d’essence affiché à la pompe. En revanche, les stations d’essence voisines pratiquent souvent la guerre des rabais, révélant ainsi que le prix leur apparaît comme un élément essentiel de contrôle stratégique de leurs bénéfices.

Sur combien de marchés ne voit-on pas les firmes installées les premières s’évertuer à prévenir l’entrée des firmes concurrentes, soit en rachetant celles-ci avant qu’elles ne deviennent opérationnelles, soit en ne laissant aucun créneau de clientèle inoccupé où elles pourraient encore se nicher (2e condition)? Dans quel marché le bien est-il réellement homogène (3e condition)? Et, même si c’était le cas, le simple fait de vendre ce bien en des endroits différents confère à chacun des vendeurs localisés en un point de vente différent une sorte de monopole local vis-à-vis de la clientèle qui est la plus proche de lui.

En ce qui concerne la 4e condition, presque partout, on observe que les unités différentes d’un même bien se vendent à des prix différents, alors que l’hypothèse d’information parfaite devrait bannir de telles différences de prix.

3.3 Barrières à l’entrée, monopole et monopole naturel

Jonathan Schlefer (2012) affirme que la main invisible d’Adam Smith n’existe pas. Tandis que les économistes se sont évertués à prouver le contraire depuis la parution de La richesse des nations (Smith 1776), les exemples récents de la crise financière de 2008 et de la crise de la dette dans la zone euro montrent que cette absence d’équilibre optimal est bien réelle.

Alors qu’Arrow et Debreu (1954) soutiennent l’existence d’un ensemble de prix permettant d’équilibrer l’offre et la demande des produits, aucune preuve n’est apportée selon l’auteur quant à l’intervention de cette main invisible pouvant modifier les marchés.

3.3.1 Barrières à l’entrée

Demsetz (1982) explique que la notion de barrières à l’entrée a été créée après la Seconde Guerre mondiale, à un moment où l’habitude était de chercher les explications à la naissance des monopoles quand les économistes observaient des déviations par rapport à la concurrence pure et parfaite. Il est certain que si les économistes s’entendent sur l’existence de barrières à l’entrée, ils ne s’accordent pas sur une définition unanime. Bain (1968, 252) définit les barrières à l’entrée comme un moyen «dans le long terme pour les firmes établies d’augmenter leurs prix de vente au-delà du minimum du coût moyen de production […] sans voir apparaître de nouveaux entrants dans la branche». Ferguson (1974, 10), quant à lui, définit les barrières comme «des facteurs qui rendent l’entrée non profitable tout en permettant aux firmes déjà établies de garder leur prix au-delà du coût marginal, et de bénéficier de façon permanente des rendements de monopole». Stigler (1968, 67) vient définir les barrières à l’entrée comme «le coût de production qui doit être supporté par une firme cherchant à pénétrer un marché mais qui n’est pas supporté par les firmes déjà présentes dans la branche».

Ces variations dans les définitions vont permettre à ces auteurs de défendre des positions différentes à propos des sources spécifiques des barrières à l’entrée. Pour Bain et Ferguson, par exemple, les économies d’échelle représentent une barrière à l’entrée, alors que pour Stigler ce n’est le cas que si les intrants ont des coûts d’entrée différents de ceux des firmes déjà établies.

Selon Demsetz (1982), les barrières à l’entrée sont de trois types:

  1. les barrières naturelles: elles sont le résultat d’économies d’échelle;
  2. les barrières légales: les brevets, les droits d’auteur, les protections des marques d’entreprises, etc;
  3. les barrières stratégiques: la réputation des marques, l’histoire des marques, les coûts d’information, les stratégies de prix prédateur, etc.

Dans un environnement où deux forces majeures se développent conjointement – la mondialisation et les progrès technologiques –, la réputation et l’image de marque deviennent de plus en plus les premières barrières à l’entrée. En effet, si, sur un marché, il existe une entreprise dont la réputation est exceptionnelle, alors il sera très difficile de pénétrer ce marché.

Ainsi, ces barrières naturelles ou non sont soit le fruit du processus concurrentiel, soit le désir d’une société organisée, au travers de sa réglementation. Les coûts économiques devraient donc être contrebalancés par les gains sociaux.

Quel est le lien, voire la différence, entre la notion d’entreprise dominante et celle de monopole ? La principale caractéristique visible d’une entreprise en situation de monopole est qu’elle est seule sur un marché en un lieu donné et en un temps donné pour offrir un produit ou un service. La conséquence principale portera sur l’existence d’un équilibre qui sera la plupart du temps différent de celui de la concurrence pure et parfaite.

Principes de tarification de l’électricité en France [Adapté de Frédéric Decré et Hervé Chefdeville (1995)]

«D’une façon générale, toute activité utilisant des réseaux est d’autant plus efficace que l’utilisation de ces réseaux est élevée. En particulier, le coût fixe d’un réseau électrique est tel que l’avantage économique d’un système dans lequel un usager aurait le choix entre divers réseaux concurrents sur le même territoire est difficilement concevable.

«Cependant, si les gains liés à l’existence d’un distributeur unique sont évidents, le risque de voir se développer des pratiques monopolistiques ne l’est pas moins. Ainsi, le client peut-il redouter que le distributeur, en situation de monopole, pratique des formes de dumping sur certains marchés et en rançonne certains autres (on parle alors de subventions croisées). C’est la raison pour laquelle des règles doivent venir préciser les objectifs du monopole local et les modalités de fixation des prix des diverses prestations offertes. La théorie économique apporte de précieux enseignements pour le choix de ces règles.

«Le véritable problème est celui de la coordination nécessaire entre les décisions de l’entreprise et celles de ses clients. Le client effectue ses choix sur la base de son intérêt propre. C’est ainsi qu’il arbitre entre les solutions qui s’offrent à lui. Il incombe donc à l’entreprise de l’informer des conséquences économiques de ses décisions pour la collectivité. Pour ce faire, la théorie économique propose une solution: la vente au coût marginal. Rappelons que le coût marginal se définit comme le coût que fait supporter à la collectivité l’usager qui décide de consommer une unité supplémentaire de bien. L’objectif de la tarification au coût marginal se définit ainsi: au moyen de signaux de prix, inciter les consommateurs à utiliser leurs équipements électriques au mieux de l’intérêt général. Le constat a posteriori que certains clients réagissent aux modulations de prix en diminuant une partie de leurs consommations pendant les heures où elles sont plus chères démontre l’intérêt d’une tarification basée sur les coûts marginaux.

«Cependant, si la tarification au coût marginal est une condition nécessaire pour atteindre un optimum dans le secteur de l’électricité, elle ne saurait être suffisante. L’entreprise doit d’abord s’attacher à minimiser ses coûts.»

3.3.2 Typologie des monopoles

Il nous apparaît utile de mettre en place une grille d’analyse qui permettra d’éclairer le concept de monopole et son évolution dans la littérature. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les enseignements de la microéconomie tout en les discutant.

  • Tout d’abord, le monopole peut s’expliquer par des coûts d’entrée élevés: une seule entreprise a les compétences techniques pour produire un bien, et essayer d’avoir ces mêmes compétences demande des investissements en RD importants. Le prix sera plus élevé qu’en situation de concurrence. Les quantités seront plus faibles et les profits seront positifs. Ce type de monopole est qualifié de «monopole classique» en raison d’une structure de coût similaire à celle de la concurrence. Le monopole, ne pouvant pas faire d’économies d’échelle, produira dans la partie croissante de sa courbe de coût moyen.

  • Il peut également s’agir d’un monopole naturel, lequel est caractérisé par des coûts moyens décroissants: la dernière unité produite coûte moins cher que la précédente. Le producteur a donc tout intérêt à la produire, car elle fait baisser les coûts moyens et donc augmenter les profits. Un monopole naturel regroupe toutes les industries fonctionnant en réseau, comme Hydro-Québec, Gaz Métro, etc. On peut d’ores et déjà noter que l’essentiel de ces entreprises en réseau sont, ou ont été à un moment donné de leur existence, nationalisées ou réglementées. La recherche de rendements croissants va conduire le monopole naturel à produire plus que le monopole traditionnel. Les conditions d’équilibre seront donc plus proches de celles de la CPP que ne le sont celles issues du monopole classique.

  • Une troisième origine de l’existence d’un monopole est l’intervention des pouvoirs publics. Elle peut se faire sous plusieurs aspects. Il s’agit pour le gouvernement:

    • soit de nationaliser l’entreprise: l’État est alors propriétaire de l’entreprise, et souvent cela s’accompagne d’un monopole d’exploitation;
    • soit de donner un monopole d’exploitation à une entreprise qui reste dans le domaine privé. C’est le cas de l’industrie minière, par exemple, dont le modèle économique va reposer sur des concessions d’exploitation accordées par le gouvernement en contrepartie de redevances versées aux recettes de l’État. Cela peut aussi s’accompagner d’une nationalisation au moins partielle. C’est ce qu’on appelle un «monopole légal».

Évidemment, dans l’étude des structures de marché, on peut trouver des entreprises que l’on qualifiera de «monopoles naturels» du fait qu’elles exploitent des économies d’échelle, et pour lesquelles il y a un coût d’entrée élevé. D’autres seront des entreprises n’exploitant pas d’économies d’échelle, mais bénéficiant d’un marché monopolitistique dont l’entrée est réglementée par l’État (concessions publiques, industrie pharmaceutique, etc.). Nous nous intéresserons uniquement dans ce qui suit aux justifications économiques des structures de marché, sans entrer dans des débats d’ordre social ou autre. Pour ce faire, nous allons examiner les différentes façons de gérer un monopole afin de mettre en évidence les explications théoriques de la naissance d’un monopole.

Samsung peut-il devenir chef de file mondial sur le marché des téléphones intelligents et des tablettes?

Malgré des barrières à l’entrée considérables et une rude concurrence, Samsung a vite acquis une place importante sur le marché des téléphones intelligents ainsi que celui des tablettes tactiles. L’entreprise s’est appuyée sur son image de marque et a misé sur le recherche et développement pour fournir des produits haut de gamme. En plus d’une différenciation verticale maximale, l’entreprise a su utiliser une différenciation minimale pour tenter de minimiser le retard qu’elle avait pris lors de l’apparition des téléphones intelligents. Leurs efforts ont été couronnés de succès: leurs cours boursiers ont doublé entre 2015 et 20191, et en 2019 il demeurait toujours le premier fabricant de smartphones au monde2. Toutefois, cette stratégie de différenciation minimale a conduit à une réelle guerre judiciaire internationale entre Samsung et Apple3, qui reprochait au géant coréen d’avoir des produits très semblables aux siens. De son côté, Samsung a aussi porté plainte contre Apple pour des violations de brevets. Samsung a été condamné en 2012 à payer un milliard de dollars américains par un jury des États-Unis pour avoir violé la propriété intellectuelle aux États-Unis. Une série d’appels a porté l’affaire jusqu’à la Cour suprême des États-Unis, qui a finalement obligé Samsung de payer $539 million à Apple.

Dans ce cas de figure, nous avons représenté un monopole faisant des profits. On peut imaginer également un monopole faisant des pertes: il suffit de déplacer la courbe de coût moyen vers le haut afin de la faire passer au-dessus du prix d’équilibre.

Équilibre avec maximisation du chiffre d’affaires. Les objectifs des dirigeants peuvent ne pas être systématiquement la maximisation du profit. À certaines périodes, il peut s’agir plutôt de conquérir de nouveaux marchés géographiques ou de lancer de nouveaux produits. L’objectif est alors la maximisation du chiffre d’affaires ou de la recette totale.

Maximiser la recette totale revient à annuler la recette marginale:

\[\begin{equation} \frac{dRT}{dq}= 0 \iff Rm = 0 \tag{3.16} \end{equation}\]

Dans cette situation, le monopole vendra \(q_1\) au prix \(P_1\) (fig. 3.12).

Représentation de la gestion à l’équilibre.

Figure 3.12: Représentation de la gestion à l’équilibre.

Gestion à l’équilibre. Il s’agit de produire en faisant des profits nuls. Ceci implique que le monopoleur produise une quantité plus importante de biens afin de baisser le prix auquel la demande est prête à payer au même niveau que celui du coût moyen. Analytiquement, il s’agit donc d’établir l’égalité de la recette moyenne et du coût moyen: \(RM=CM\). Dans ce cas, le monopole produira \(q_3\) au prix \(P_3\).

Plusieurs raisons peuvent pousser une entreprise à agir en ce sens. Tout d’abord, il peut s’agir d’une décision stratégique visant à empêcher l’entrée potentielle de concurrents sur la branche. Ensuite, il peut s’agir d’une décision politique lorsque le monopole est un monopole légal. L’État peut attribuer un monopole à une entreprise,mais en l’obligeant à gérer à l’équilibre. C’est une règle de gestion comme une autre; elle a l’avantage d’éviter les surprofits, donc de faire payer trop cher les consommateurs, ce qui s’insère dans la mission de service public, et elle permet d’éviter les pertes qui seraient in fine financées par le contribuable, donc le consommateur.

Monopole en situation de concurrence. Dans ce cas, un monopole «traditionnel» selon la définition de Chamberlin (1951) se trouve dans une situation de libre entrée. Plusieurs raisons peuvent pousser un monopole à étudier sa rentabilité s’il devait se comporter comme une entreprise en concurrence. La première est politique. L’État peut, en donnant un monopole d’exploitation à une entreprise, l’obliger à se comporter comme une entreprise en situation de concurrence, c’est-à-dire à vendre au coût marginal. Par exemple, EDF (Électricité de France) mit en place au début des années 1990 un objectif de tarification et de gestion au coût marginal. La seconde est stratégique: mesurer le surprofit tiré de la situation de monopole pour se préparer à une ouverture potentielle du marché.

Ce qui caractérise une entreprise en CPP, c’est l’égalité du prix (ou la recette moyenne) et du coût marginal, c’est-à-dire l’égalité entre la demande (ou recette moyenne) et le coût marginal. On peut donc également l’appliquer au monopole: \(RM=Cm\). Selon cette hypothèse, le monopole vendra \(q_2\) et fixera son prix à un niveau \(P_2\).

Si l’on compare la situation de concurrence à la situation de monopole, on s’aperçoit qu’en situation de concurrence, les quantités produites par l’entreprise sont plus importantes, le prix de vente est inférieur et les profits de l’entreprise sont inférieurs (fig. 3.13).

Représentation de la tarification au coût marginal.

Figure 3.13: Représentation de la tarification au coût marginal.

Cette constatation a conduit l’État à nationaliser des entreprises qu’il considérait comme étant en situation de monopole afin de les forcer à tarifer au coût marginal.

3.3.4 Cas particulier du monopole naturel

Économies d’échelle et économies d’envergure: les sources du monopole naturel. Le monopole naturel est caractérisé par des rendements croissants et des économies d’envergure.

Rendements croissants. Certains secteurs d’activité bénéficient davantage que d’autres de rendements d’échelle. Les rendements croissants correspondent à des situations où un bien coûte d’autant moins cher à l’unité qu’il est produit en plus grande quantité. Ils sont associés à l’existence d’économies d’échelle. Les rendements croissants existent dans toutes les activités, au moins jusqu’à un certain niveau de production, l’analyse marshallienne montrant qu’au-delà d’une certaine échelle de production, généralement dépassée par les firmes, les rendements deviennent décroissants. C’est la forme en U de la courbe de coût marginal.

Néanmoins, lorsqu’une production repose sur un investissement initial, notamment des coûts fixes d’installation très importants, les coûts unitaires de production peuvent rester décroissants ou constants sur de très larges échelles de production. Cette situation est fréquente dans les activités en réseaux, en raison du coût élevé des infrastructures qui produisent ensuite des quantités croissantes de services à des coûts proportionnels, tant que la saturation du réseau n’est pas atteinte.

Par exemple, au moment des périodes de transport important de passagers, Air Canada affrète des avions supplémentaires et mobilise son personnel. Cela ne se fait pas sans coût. Un avion supplémentaire doit être rempli. Mais si une seule personne occupe cet avion, Air Canada ne peut lui faire payer le véritable coût de son transport. D’autant plus que si une telle pratique commerciale s’installait, plus personne ne prendrait l’avion. Il est donc de l’intérêt d’Air Canada de trouver un prix suffisamment faible pour que les avions soient remplis et suffisamment élevé pour rendre l’exploitation de la ligne rentable. Plus il y a de personnes qui prennent cet avion, plus cela diminue le coût moyen d’exploitation de l’avion. On est donc dans la partie décroissante de la courbe de coût moyen qui représente la partie dans laquelle les entreprises font des économies d’échelle.

Cet exemple s’applique également aux compagnies ferroviaires, aux compagnies de distribution de gaz, de services téléphoniques, etc. Une fois le réseau de distribution installé, distribuer un peu plus ne coûte pas très cher. Et souvent, l’installation du réseau nécessite des investissements en coûts fixes très importants (câbles, centres d’appel, etc.), mais le coût marginal d’une unité supplémentaire produite est très faible.

Ces arguments ont souvent servi de justification à la nationalisation d’entreprises fonctionnant sur ce mode. L’État considérait que, vu les investissements en coûts fixes énormes, il serait optimal de n’avoir qu’une seule entreprise sur le marché afin d’éviter des investissements redondants.

Nous verrons plus loin que ces entreprises ne sont pas gérées de la même façon que les monopoles classiques. Il est apparu à nos gouvernants que la nationalisation de telles entreprises associée à la règle de gestion concurrentielle serait d’une très grande efficacité pour l’amélioration du surplus du consommateur et du bien-être social. La droite de demande représentée par la recette moyenne coupe donc la courbe de coût moyen dans sa partie décroissante (fig. 3.14).

Monopole et rendements croissants sans libre entrée.

Figure 3.14: Monopole et rendements croissants sans libre entrée.

Dans le cas d’une entreprise multiproduits, les courbes de coût moyen et de coût marginal prennent une autre définition. On parle alors respectivement de courbe de «coût moyen pondéré» et de «coût incrémental moyen».

Le coût moyen pondéré se calcule de la façon suivante:

\[\begin{equation} CMP(q)= \frac{\lambda_1 \times q, \lambda_2 \times q}{q} \tag{3.17} \end{equation}\]

Le coût incrémental moyen se calcule de la façon suivante:

\[\begin{equation} CIM_i= \frac{C(q_i,q_j) - C(q_i,0) }{q} \tag{3.17} \end{equation}\]

Dans le cas d’une entreprise monoproduit, les économies d’échelle sont simplement démontrées lorsque la courbe de coût moyen a une pente négative (la dérivée première de la courbe de coût moyen est négative). Dans le cas d’une entreprise multiproduits, les économies d’échelle se calculent de la façon suivante:

\[\begin{equation} ECH= \frac{C(q_1,q_2,...,q_i) }{\sum_{1}^{i}Cm_i \times q_i} \tag{3.18} \end{equation}\]

\(Cm\) représente le coût marginal. Si \(ECH> 1\), alors l’entreprise bénéficie d’économies d’échelle dans la production agrégée de ses produits.

Les économies d’envergure. Sans entrer dans les détails de la théorie des marchés contestables, nous pouvons néanmoins expliquer qu’elle vient élargir la notion de rendements croissants aux firmes multiproduits. À côté des économies d’échelle peuvent exister des économies d’envergure (economies of scope), qui résultent des complémentarités existant dans la production de différents biens ou services. Ainsi, le monopole se justifie si la fonction de coût d’un groupe de différents produits est sous-additive, ce qui signifie que le coût de production de ce groupe de biens ou ser-vices est minimisé, s’il est produit par une seule firme.

Cette approche sert de fondement au réexamen des frontières des grands monopoles de services publics et à leur réforme par désintégration éventuelle, dans la mesure où leur activité s’est généralement diversifiée, ou tout au moins est décomposable: gestion de l’infrastructure, production d’un service, distribution. Le problème revient alors à repérer, dans l’ensemble de leur activité, les segments pour lesquels la fonction de coût est sous-additive. Au-delà de la simplicité de la définition, cette démarche se heurte à d’importantes difficultés, liées à l’estimation des fonctions de coût.

Dans le cas de deux produits, les économies d’envergure se calculent de la façon suivante:

\[\begin{equation} ENV= \frac{C(q_1,q_0) + C(0,q_2) - C(q_1,Q_2) }{C(q_1,q_2)} \tag{3.19} \end{equation}\]

Si \(ENV> 0\), alors l’entreprise bénéficie d’économies d’envergure. Il coûte moins cher de produire les deux biens ensemble que séparément. Cet argument est souvent utilisé dans le cadre des fusions-acquisitions.

Il coûte donc moins cher de produire les deux biens ensemble plutôt que séparément. Non seulement cette fusion permettrait-elle de bénéficier d’économies d’échelle, mais encore la production conjointe de ces deux produits spécifiques amènerait des économies d’envergure.

La règle de gestion d’un monopole naturel. Tout comme le monopole classique, l’entreprise en situation de monopole naturel décide pleinement de sa stratégie de prix (faiseur de prix). Elle peut déterminer le prix de vente sur le marché, ce qui revient à dire que la recette moyenne est différente de la recette marginale, comme nous l’avons vu dans le cadre du monopole classique. Dans ce cas, le maximum du profit est atteint avec l’égalité suivante: \(Rm=Cm\).

L’application de cette règle conduit à une situation de profit, mais l’entreprise ne réaliserait pas toutes les économies d’échelle possibles. En effet, produire une unité de plus que q* diminuerait encore un peu plus le coût moyen et permettrait donc de proposer un tarif moins élevé. Le bien-être social serait amélioré. C’est cet argument qui a essentiellement servi à la nationalisation des entreprises fonctionnant sur le mode du réseau.

Cette règle de gestion, Rm=Cm, ne s’appliquerait donc que pour les entreprises en situation de monopole naturel, mais gérées par le privé (avec libre entrée). Attirées par les profits, d’autres entreprises feraient les investissements nécessaires ou trouveraient de nouvelles technologies et vendraient à un prix inférieur à P*. Dans ce cas de figure, la première entreprise perdrait des parts de marché. Elle devrait alors riposter en baissant encore un peu plus son prix. C’est possible, car les coûts moyens sont décroissants. Ce cercle «vicieux» se prolongerait jusqu’à ne plus avoir de profit économique. C’est le même cas de figure qu’en concurrence pure et parfaite. Ne plus avoir de profit économique correspond donc à la situation où la demande achète au coût moyen, c’est-à-dire \(RM=CM\) (fig. 3.15).

La véritable règle de gestion d’une entreprise en monopole naturel, mais dans le domaine privé, est donc \(RM=CM\). Les profits économiques sont nuls à long terme comme en CPP. C’est l’optimum de second rang. L’optimum de premier rang serait la solution de la tarification au coût marginal trouvée en CPP. Nous avons vu que cette règle (\(RM=Cm\)) conduisait à un maximum du surplus du consommateur qui profitait de quantités d’extrant supérieures à celles du monopole, mais à un prix inférieur. Appliquée au monopole naturel, elle conduit certes à des quantités supérieures et à un prix inférieur, mais aussi à une situation de perte.

Cette règle n’est pas viable pour une entreprise privée. La seule justification pourrait être la nationalisation en vue d’offrir de plus grandes quantités à un prix inférieur. Mais dans ce cas, l’État serait conduit à subventionner une entreprise chroniquement déficitaire. Quelle est alors la règle de gestion d’un monopole naturel géré par l’État ? Nous avons vu que la tarification au coût marginal n’est pas optimale, que les pouvoirs publics ne cherchent pas à faire des profits, donc n’appliqueraient pas la règle \(Rm=Cm\). Ils finiraient donc par appliquer la règle \(RM=CM\). Or, celle-ci est la seule règle possible pour une entreprise privée ayant un monopole naturel qui veut éviter de nouveaux entrants (fig. 3.15).

Gestion à l’équilibre dans le cadre du monopole naturel.

Figure 3.15: Gestion à l’équilibre dans le cadre du monopole naturel.

Où réside donc l’intérêt de la nationalisation ? Dans la certitude que la règle \(Rm=Cm\) ne sera jamais appliquée et que d’autres entreprises ne feront pas des investissements en coûts fixes énormes qui s’avéreraient redondants. On peut aussi imaginer que l’État insiste pour qu’on applique la règle de la CPP, n’hésitant pas ainsi à subventionner les déficits. C’est vraisemblablement une des raisons pour lesquelles de grandes entreprises en réseau nationalisées sont toujours déficitaires puisque le monopole applique la règle \(RM = Cm\) (fig. 3.16).

Tarification au coût marginal dans le cadre du monopole naturel.

Figure 3.16: Tarification au coût marginal dans le cadre du monopole naturel.

En conclusion, une entreprise en situation de monopole naturel sait que si elle applique la règle \(Rm=Cm\), elle devra faire face à de nouveaux entrants. Son attitude rationnelle est donc d’appliquer directement la règle \(RM=CM\). Elle ne fait pas de profits économiques, mais elle réalise des profits comptables. Plus aucune entreprise n’est incitée, dans l’état actuel de la technologie, à entrer sur le marché. Par conséquent, aucun investissement redondant ne sera effectué.

Les difficultés à contrôler, à réglementer l’activité des monopoles naturels, la défaillance et les coûts associés à ces réglementations, ont conduit dans la période récente, à contester leur caractère «naturel». De plus, les technologies de production sur lesquelles ils sont fondés ne sont pas immuables. L’exemple des télécommunications est flagrant. La téléphonie filaire est supplantée par le satellite. Cela implique une définition permanente de leur périmètre. Enfin, les inefficacités qu’ils génèrent conduisent à rechercher les voies de leur ouverture à la concurrence. En dynamique, le monopole naturel n’est que temporaire. La théorie des innovations énoncée par Schumpeter (1950) trouve un écho moderne. La notion de rendements croissants va donc de pair avec la notion d’innovation.

3.3.5 Quelques extensions du modèle du monopole

Aux modèles et aux équilibres traditionnels du monopole, nous pouvons ajouter:

  1. Le monopsone: il s’agit d’une situation où, au lieu que ce soit l’offre qui soit monopolistique, c’est la demande qui est seule sur le marché. C’est le cas par exemple des marchés publics: la Ville de Montréal est le seul client de beaucoup d’entreprises de construction.
  2. Le monopole local et le marché pertinent: la réalité du monopole et de la concurrence pure et parfaite est différente en dynamique. En effet, même si l’on peut dénombrer plusieurs compétiteurs, il se peut qu’en réalité ils aient un monopole local. La grande question est la définition du marché pertinent. Et cette définition peut dépendre d’une zone géographique, d’une stratégie de différenciation de produits, etc.

Apple et Samsung: compétiteurs et clients [Adapté de Kelly Hodgkins (2011)]

En 2011, Apple est devenu le plus important client de Samsung, alors que l’on a l’impression que c’est une compétition que se livrent les deux géants de l’informatique. Pour construire ses iPad et ses iPhone, Apple a conclu une entente de 7,8 milliards de dollars avec Samsung. Afin de mieux contrôler ses sources d’approvisionnement en écrans LCD, la firme californienne s’est aussi alliée avec LG, Sharp et Toshiba. Ainsi, le geste stratégique d’Apple de choisir plusieurs fournisseurs apparaissait comme une tentative de diversifier et de répartir le risque à travers sa chaîne d’approvisionnement. Toutefois, en 2019, Samsung fournissait plus de 90% des écrans OLED d’Apple1, au grand bénéfice de la compagnie coréenne. En 2020, Apple a de nouveau lancé son plan de diversification2, employant LG pour fabriquer un pourcentage considérable de leurs écrans.

Apple contre Amazon… [Adapté de Jonathan Zschau (2012)]

En avril 2012, Apple s’est retrouvé devant les tribunaux afin de répondre à des accusations de fixation de prix. Plusieurs maisons d’édition s’étaient associées à Apple afin de contrer le quasi-monopole d’Amazon sur le marché des livres électroniques.

Ce qu’on appelait «the Amazon problem» était en réalité l’impressionnante emprise d’Amazon sur le secteur des livres électroniques, qui avait obtenu en moins de deux ans plus de 90 % de parts de marché. Alors que les prix de vente des livres traditionnels étaient fixés à un niveau plus élevé que les prix des éditeurs (book list price), Amazon avait ouvert le marché en vendant ses livres électroniques à un prix nettement inférieur à ceux de ses compétiteurs, quitte à proposer des tarifs plus bas que ceux fixés par les éditeurs.

Ainsi, pour contrer la position dominante d’Amazon avec un nouveau système de prix des livres électroniques, les maisons d’édition et Apple se sont retrouvé devant les tribunaux pour faire face aux lois antitrust américaines. Apple a été condamné, mais a fait appel. En 2016, la cour suprême des États-Unis a refusé d’entendre leur appel, les forçant de payer $450 million en règlement1.

La vision qui a tellement affligé les maisons d’éditions - un monde littéraire dominé par les livres électroniques, un secteur imprimé entièrement dévasté - ne s’est pas matérialisée. En 2019, les livres électroniques ne faisaient que 20% du marché littéraire2, merci en grande partie au modèle de prix gonflés établi par Apple, qui est redevenu la norme du marché après l’expiration de sanctions imposés par le département de la Justice. Ironiquement, ce gonflage de prix n’a pas bénéficié les maisons d’éditions, dont les ventes de livres électroniques ont diminué, mais a plutôt aidé Amazon, qui aujourd’hui vend ses livres imprimés à de très bas prix et qui domine les deux secteurs.

Il est important de noter qu’Amazon n’était pas l’unique compagnie qui domine son marché - l’industrie de l’édition, qui dans les décennies précédentes était composée de centaines de maisons d’éditions, est présentement contrôlé par que cinq (connus commes les ‘Big Five’). Sans leur propre oligopole, ces entreprises n’auraient pas eu l’habilité d’entreprendre leur plan pour contester le monopole d’Amazon.

3.4 Conclusion

La littérature économique est riche de modèles extrêmement intéressants lorsqu’il s’agit de représenter de façon relativement simple et aisée la réalité complexe du monde industriel. Ces modèles nous permettent de comprendre la statique mais aussi la dynamique du marché.

Il est important de comprendre cette dynamique afin de pouvoir poser le bon diagnostic et de trouver les solutions adaptées.

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  1. L’initiateur du paradigme SCP est E. Mason (1939). Quelques années plus tard, J. Bain (1959) va enrichir le modèle de base↩︎

  2. La théorie néoclassique postule en effet que toute l’information est disponible immédiatement et qu’elle est gratuite; le système général des prix est un des principaux vecteurs de cette information↩︎

  3. Ce thème a été largement traité par Herbert Simon (1987)↩︎