Chapitre 5 Stratégies de prix limite et de prix prédateur

À retenir

Il semble que la position de force dans laquelle se trouvent les entreprises de certains secteurs oligopolistiques leur permette de fixer leurs prix simplement à partir des coûts de production, sans se préoccuper de la loi de l’offre et de la demande. L’oligopole est résolument un marché concurrentiel dans lequel les baisses de prix sont fréquentes. Elles peuvent s’expliquer soit par des réductions préalables des coûts de production, soit par la volonté de prendre des parts de marché à ses concurrents. Dans le second cas, les prix sont alors des signaux qui reflètent ou non le niveau des coûts. La pratique du prix limite et du prix prédateur consiste justement, en fixant le prix à un niveau très faible, à ruiner les concurrents ou à dissuader des entreprises d’entrer sur le marché. Parce qu’elles sont souvent fort coûteuses pour les entreprises qui les mettent en œuvre, la crédibilité de ces stratégies est remise en question.

5.1 Introduction

Parce que de nombreux grands marchés sont aujourd’hui dominés par des oligopoles, nous avons choisi d’étudier les méthodes qu’ils emploient pour fixer leurs prix de vente. Nous souhaitons ainsi compléter le chapitre 4 qui évoquait les différentes théories de l’oligopole (Cournot, Stackelberg, Edgeworth et Bertrand). Nous montrerons que la stabilité du prix sur ce type de marché a fait l’objet de nombreuses recherches et que l’utilisation du prix comme une arme stratégique n’est possible que dans certaines conditions : les stratégies de prix efficaces sont avant tout des stratégies crédibles. Les engagements irréversibles, permettant d’avoir des prix faibles, sont en réalité des actions qui dépassent le cadre du prix (par exemple la création de surcapacités productives ou commerciales).

Comme nous l’avons vu précédemment, la théorie microéconomique traditionnelle distingue deux situations fort différentes quant à la fixation du prix : celle où les entreprises se situent sur un marché de concurrence pure et parfaite (dans ce cas, la théorie indique qu’individuellement, les entreprises n’ont pas la possibilité d’agir sur les prix) et celle où les entreprises se situent sur un marché imparfait, le plus souvent oligopolistique, dans lequel les stratégies de prix prennent toute leur importance28. Dans ce chapitre, nous considérerons ce deuxième cas plus proche de la réalité du monde des affaires. En effet, pour beaucoup d’entreprises, fixer le prix de vente d’un produit est un exercice particulièrement délicat, car cela suppose de surmonter successivement six difficultés :

  1. les entreprises doivent tout d’abord déterminer leur objectif prioritaire : maximisation des bénéfices, maximisation du chiffre d’affaires, stratégie de croissance, stratégie de survie, stratégie d’écrémage, valorisation de l’image de marque, etc.;
  2. à partir de la courbe de demande et des facteurs affectant la sensibilité au prix, les entreprises doivent mesurer les réactions probables du marché;
  3. il est indispensable pour les entreprises d’évaluer leurs coûts de fabricationpour différents volumes de production, sans négliger l’influence des économies d’échelle et de l’effet d’expérience;
  4. les entreprises doivent aussi étudier les cinq forces concurrentielles(Porter, 1987) que sont les entreprises concurrentes, les produits de substitution, les fournisseurs, les clients et les entrants potentiels;
  5. les entreprises ont ensuite à choisir une méthode de tarification telle que la méthode «coût-plus-marge» ou celles du taux de rentabilité souhaité ou de la valeur perçue, ou encore un dosage de plusieurs d’entre elles;
  6. enfin, les entreprises doivent proposer un prix qui tienne compte de la dimension psychologique de l’acte d’achat, et dans certains cas des directives des pouvoirs publics.

Les stratégies de prix ont donné lieu à une vaste littérature, tant en économie industrielle qu’en marketing, où le prix est une des variables clés du «marketing mix»29. Il nous a donc fallu faire des choix. C’est pourquoi nous nous intéresserons d’abord à la question controversée de la stabilité du prix en oligopole, avant d’étudier justement son instabilité à travers les stratégies de prix limite et de prix prédateur. Enfin, avec le souci de coller à la réalité, nous aborderons une pratique de fixation de prix assez récente eu Europe dans certains secteurs, la gestion des capacités (yield management).

5.2 Fixation du prix en oligopole : un exercice délicat

Bien que puissante et fort cohérente, la théorie marginaliste n’a pas convaincu tous les économistes qui se sont penchés sur le problème de la fixation des prix en oligopole. Certains auteurs vont apporter des arguments théoriques pour justifier le fait que les entreprises n’ont pas intérêt à se lancer dans une guerre des prix et qu’il existe bien d’autres armes que le prix pour assurer la compétitivité. Par ailleurs, une série d’analyses statistiques et d’enquêtes de terrain vont considérablement affaiblir le rôle joué par la loi de l’offre et de la demande, au profit d’une fixation des prix plus arbitraire.

5.2.1 Théorie de la demande coudée ou danger d’une guerre des prix en oligopole

C’est à partir de 1939 que la théorie de l’oligopole va être modernisée, tant par les analyses conjointes et presque identiques de Sweezy (1939) et de Hall et Hitch (1939) que par la critique constructive de Stigler (1947). Précisons que la théorie de la demande coudée a longtemps été considérée comme la théorie de référence en oligopole. Aujourd’hui, malgré de nombreuses attaques et critiques fondées (Simon 1969; Primeaux and Bomball 1974), elle demeure une réflexion enrichissante30.

Hypothèses fondamentales de la théorie. Tout d’abord, précisons que Hall et Hitch (1939), ainsi que Sweezy (1939) abandonnent certaines hypothèses néoclassiques, dont l’homogénéité du produit et la parfaite information des consommateurs. Les auteurs se placent volontairement dans le cadre d’un oligopole non coopératif à produits différenciés. Ils souhaitent prouver que les prix sont plutôt rigides dans les marchés de petit nombre. Cela conduira de nombreux auteurs à défendre l’existence d’une concurrence hors prix caractérisant la concurrence moderne qui, selon eux, utilise davantage l’arme de la différenciation de produit que celle du prix ou de la guerre des prix.

On se posera deux questions pour tenter de comprendre les comportements rationnels des entreprises. Les réponses que nous allons donner ne sont pas uniques, mais sont les plus communément admises. Premièrement, quelles sont les conséquences d’une augmentation du prix de vente d’un produit par une entreprise, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire notamment à demande globale inchangée ?

Il y a trois types de réactions possibles face à une hausse du prix :

  1. le client reste client, car il juge que seule cette entreprise lui offre le bien qu’il désire;
  2. le client renonce au bien devenu trop cher et qu’il pense ne pas trouver ailleurs;
  3. le client achète un bien identique ou différencié chez un concurrent.

L’importance relative de ces trois réactions dépend d’abord du degré de différenciation des produits, mais aussi du nombre de concurrents et de leur taille relative. Comme il est difficile de penser que tous les clients resteront clients (réaction 1), la demande diminuera certainement à la suite des réactions 2 et 3. Ainsi, sans rien faire, les entreprises concurrentes bénéficieront d’une augmentation de leurs ventes. Compte tenu de cet avantage, il est peu probable qu’elles modifient leurs propres prix de vente à la hausse.

Deuxièmement, quelles sont les conséquences d’une baisse du prix de vente d’un produit par une entreprise, toutes choses égales par ailleurs?

Dans un raisonnement symétrique, on peut raisonnablement penser qu’une baisse du prix par une entreprise sera suivie par la baisse du prix des entreprises concurrentes, ces dernières souhaitant éviter de perdre des parts de marché. Ainsi, l’entreprise qui a pris l’initiative de la baisse n’en retire pas tout le bénéfice. On peut même ajouter que si les autres entreprises proposent une baisse plus importante, l’initiateur peut ne connaître aucune augmentation de ses ventes, sauf peut-être pendant la courte période avant que les autres entreprises ne réagissent. C’est cette asymétrie des réactions des concurrents, à la suite d’une augmentation ou d’une baisse du prix d’une entreprise, qui explique la forme coudée de la fonction de demande.

Fonction de demande coudée. Les hypothèses précédentes de comportement permettent d’envisager une courbe de demande coudée. Les coordonnées du «coude», appelé encore «point focal» (Tirole 1995), correspondent à la situation de référence de l’entreprise. Il peut par exemple s’agir d’un prix de monopole. On vérifie sur le graphique :

  • qu’une hausse de prix provoque une diminution des quantités plus forte que si la droite de demande n’était pas coudée;
  • qu’une baisse de prix conduit à une augmentation moindre des quantités.

Cela suppose qu’au point focal, on dispose de deux élasticités – prix de la demande : en valeur absolue, celle de gauche sera forte et celle de droite sera faible. L’entreprise n’a guère envie de se lancer dans une modification de son prix puisqu’une hausse risque de provoquer une chute de son profit et une baisse, une guerre des prix, donc une baisse généralisée du profit de chaque entreprise. L’entreprise adopte donc un comportement prudent.

Conditions de maximisation du profit. Comme la théorie ne dit rien sur la façon dont le prix focal est initialement fixé, on supposera que l’entreprise a défini son optimum de production de manière classique en posant l’égalité \(Rm=Cm\) avec une fonction de demande non coudée. Au point (\(q_F , P_F\)), l’entreprise maximise son profit. À partir de cette position, est-il intéressant pour l’entreprise de modifier son prix de vente, à coût marginal inchangé ? La courbe \(D_C\) , dite «courbe de demande coudée»[Tirole], définit la demande que l’entreprise anticipe pour sa production lorsqu’elle modifie son prix, à partir de la position initiale F. Comme la courbe de recette moyenne est coudée, la courbe de recette marginale présentera une discontinuité en qF (fig. 5.1).

Équilibre en oligopole non coopératif selon P. Sweezy (1939).

Figure 5.1: Équilibre en oligopole non coopératif selon P. Sweezy (1939).

Le point F correspond bien à un équilibre stable pour l’entreprise, car le coût marginal coupe la recette marginale dans la partie où elle est discontinue.

Par conséquent :

  • si l’entreprise se plaçait à gauche de F, elle n’obtiendrait pas son profit maximum : en effet, la recette marginale étant supérieure au coût marginal, la vente d’unités supplémentaires permettrait d’accroître les bénéfices;
  • si l’entreprise se situait à droite de F, elle réduirait son profit maximum dans la mesure où la recette marginale est maintenant inférieure au coût marginal.

Finalement, le point F correspond bien à la seule position d’équilibre, qui permet à l’entreprise de maximiser son profit. Sweezy (1939) a précisé qu’une faible variation du coût marginal pouvait ne pas entraîner de modification de l’optimum. Il est clair que sur le graphique de la figure 5.1, une faible hausse ou baisse du coût marginal ne modifie en rien la solution optimale. Ainsi, la stabilité des prix en oligopole résulte d’un comportement prudent de la part des entreprises et d’une absence de coordination, et non pas de l’existence d’une véritable entente. Le caractère destructeur d’une guerre des prix est depuis fréquemment évoqué par les chercheurs et les praticiens31.

Limites de la théorie de la demande coudée. En particulier quand il s’agit d’expliquer la position initiale de l’équilibre, la théorie de la demande coudée va être vigoureusement critiquée par Stigler (1947), qui va souligner le fait que le raisonnement manque parfois de rigueur et de clarté.

Tout d’abord, grâce à des études statistiques, l’auteur met en évidence le caractère trop restrictif de certaines hypothèses du modèle. Ainsi, l’imitation à la baisse est loin d’être systématique; certaines entreprises ne veulent pas réduire leur prix, notamment pour ne pas donner un signal de baisse de qualité aux consommateurs, signal qu’elles jugent incompatible avec leur image de marque. De même, l’imitation à la hausse est plus fréquente que ne le suggère Sweezy (1939); ainsi, lorsque le marché est dominé par une entreprise meneuse, il est fréquent de voir les hausses de prix suivies par les entreprises suiveuses (followers). Il est donc possible de trouver des courbes de demande coudée aux formes bien différentes de celle présentée dans ce paragraphe32.

Stigler (1947) rappelle aussi que la plupart des résultats dépendent en réalité des caractéristiques de l’oligopole. Suivant qu’il s’agit d’un oligopole comportant beaucoup ou peu d’entreprises et dominé ou non par une entreprise meneuse, les conclusions seront différentes. La multiplicité des situations est effectivement un frein à une modélisation unique.

Sur un plan plus pragmatique, on ne peut nier aujourd’hui l’existence de nombreuses situations de «guerre des prix», dans de nombreux secteurs oligopolistiques, tels que l’informatique, la téléphonie, la pharmacie, l’automobile, etc. Certes, la théorie de la demande coudée n’a jamais affirmé qu’il n’y aurait plus de guerre des prix; elle a peut-être insisté un peu trop sur ses dangers, et pas assez sur ses mérites. L’avantage de cet excès théorique est qu’il a permis d’intégrer dans le raisonnement économique des éléments peu étudiés jusque-là par la microéconomique classique. En effet, si l’on admet que le prix est une variable dangereuse que les entreprises ne peuvent manipuler sans risque, alors ces dernières doivent trouver d’autres variables pour assurer leur compétitivité. C’est l’objet de la «concurrence hors prix» de préciser le caractère fondamental de ces variables hors prix que sont la qualité, le service après-vente, l’information, le respect des délais de livraison, etc.

5.2.2 Fixation des prix en dehors de la loi de l’offre et de la demande

Une des premières études sur les prix a été réalisée aux États-Unis par Mills (1927); il conclut à l’existence de deux groupes de produits, ceux dont les prix changent fréquemment et ceux dont les prix sont relativement rigides, face à des variations de coût de production ou de demande. Cette étude, malgré le fait qu’elle «représente une contribution remarquable à notre connaissance du comportement des prix» (Carlton and Perloff 2005), n’a pas connu le succès que l’analyse de Means (1935) a rencontré dans les années 1930, puis ultérieurement. Ce dernier défend l’idée que de nombreux marchés ne fonctionnent pas selon le modèle classique, mais sur la base de prix administrés, qui ne dépendent que faiblement des mécanismes d’autorégulation du marché (loi de l’offre et de la demande).

Une série d’articles suivra sur cette question avec une discussion en particulier entre Means et Stigler. Les travaux de Stigler (1962, 1964) vont révoquer l’idée d’efficacité des prix administrés. Dans un article intitulé «The administered price thesis reconfirmed», Means (1972) répond à ces critiques et confirme les résultats de ses premières recherches. D’après lui, il semble que ce soit les secteurs les plus concentrés qui parviennent le mieux à «administrer» les prix; ce qui est logique puisque les entreprises disposent d’un pouvoir de marché. Par ailleurs, les ententes explicites ou les collusions tacites entre les entreprises de tels secteurs rendent souvent les prix rigides. La discussion se poursuivra avec les défenseurs de Means (Schramm and Sherman 1977) et ses critiques (Weston, Lustgarten, and Grottke 1974). Weiss (1977) fait une étude rétrospective des plus intéressantes sur ce débat.

Dans le même esprit, les travaux de Hall et Hitch (1939) vont connaître un vif succès dans les années d’après-guerre. Leur enquête auprès de quelques dizaines d’entreprises a montré que les dirigeants, pour fixer les prix de vente, n’utilisaient pas les règles marginalistes classiques, mais appliquaient des méthodes plus simples et empiriques. La technique la plus connue consiste à multiplier par un coefficient le coût variable moyen afin de couvrir les frais fixes et de dégager un certain bénéfice. Cette façon de procéder est appelée «méthode du coût complet», mieux connue sous le nom de «full cost». Plus récemment, Skinner (1970) confirme ces résultats et note aussi que les entreprises préfèrent éviter les changements fréquents de leurs prix, sauf en cas de modifications importantes des coûts ou de la demande. Ces travaux, réalisés dans le même esprit que les réflexions concernant la demande coudée, ont été à l’origine de la contestation de la «grande taille» et de la concentration industrielle. S’affranchir du marché pour fixer les prix de vente défavorise les consommateurs et place les entreprises en position de force.

Cependant, d’autres études tendent à relativiser les résultats précédents, qui, sans être erronés, n’auraient donc plus une portée aussi générale [Sizer (1971). Quatre arguments peuvent être évoqués.

D’après Carlton et Perloff (2005), les travaux de Means (1935), qui s’appuient essentiellement sur les statistiques du US Bureau of Labor Statistic (BLS), concernent surtout les produits «à emporter». Ces derniers ne faisant pas l’objet de négociations entre les clients et les vendeurs, il est normal que la loi de l’offre et de la demande ait une moindre influence. De plus, la pratique du coût complet ne doit pas être interprétée avec étroitesse; en effet, Means (1935) n’explique pas vraiment comment le dirigeant détermine la marge de profit. On peut donc admettre l’influence indirecte des conditions de marché sur le niveau du prix, par l’intermédiaire du taux de marge.

Quant à l’argument selon lequel la stabilité des prix s’expliquerait par le poids des coûts de changement (nouveau catalogue, lettres d’information aux vendeurs, etc.), les progrès de l’informatique et des télécommunications permettent aujourd’hui d’en limiter la portée. Nous reviendrons sur cette question dans ce chapitre lorsque nous évoquerons le concept de gestion des capacités (yield management).

De plus, comme nous l’indiquions en introduction, des stratégies d’écrémage, de pénétration ou d’image peuvent sensiblement altérer les raisonnements qui considèrent le coût de production comme unique base de calcul. Le taux de marge sur les produits de luxe peut être de 10 à 20 fois supérieur à celui qui s’applique aux produits de consommation courante, ce qui montre bien que la référence au coût est toute relative et que des éléments bien plus fondamentaux s’expriment à travers le prix de vente (qualité, image de marque, snobisme, etc.).

Enfin, le prix de vente peut être utilisé comme une arme stratégique pour lutter contre des concurrents ou pour empêcher que de nouveaux entrants ne s’installent sur le marché. Dans ce cas, la fixation du prix répond à des impératifs stratégiques précis, qui vont faire l’objet des deux sections suivantes.

5.3 Stratégie du prix limite.

Smiley (1988) a effectué une enquête auprès de dirigeants d’entreprises en vue d’étudier les techniques mises en œuvre pour rendre les entrées des entreprises rivales moins attractives. Il précise que plus de la moitié des dirigeants accordent à ces stratégies au moins autant d’importance qu’aux stratégies commerciales ou productives et que seulement 13 % des dirigeants interrogés considèrent que les stratégies de barrière à l’entrée sont sans importance. L’auteur relève les techniques suivantes :

  • publicité : elle est si intense que l’attachement à la marque est très fort;
  • brevets en RD : l’entreprise peut acheter les brevets de tous les produits similaires;
  • appropriation de toutes les niches : l’entreprise peut choisir de fragmenter le marché et d’investir toutes les niches, de telle façon qu’un nouvel entrant soit confronté à une demande insuffisante s’il entre sur une niche;
  • courbe d’apprentissage : l’entreprise peut décider de fabriquer vite d’importantes quantités, afin de bénéficier rapidement de faibles coûts de production;
  • prix limite : l’entreprise peut fixer un prix suffisamment bas, rendant toute entrée sur le marché non profitable;
  • excès de capacité : la capacité de production totale de l’entreprise est telle que cette dernière peut satisfaire toute demande supplémentaire;
  • réputation : l’entreprise peut envoyer des signaux aux éventuels concurrents, par le biais des médias, indiquant qu’elle réagirait vivement en cas d’entrée sur le marché.

Plusieurs grands auteurs se sont penchés sur ces trois derniers points et ont proposé de très intéressants développements théoriques que nous étudierons dans cette section et la suivante (consacrée aux prix prédateurs). Concernant la stratégie du prix limite, il s’agit notamment de Modigliani (1958), Bain (1956) et Sylos Labini (1962).

5.3.1 Définitions et hypothèses de base du modèle

Le modèle du prix limite illustre une situation dans laquelle l’entreprise en place décide d’une tarification de son produit et la conséquence directe est l’éviction des entrants potentiels. Deux cas de figure peuvent se présenter : le premier est la stratégie délibérée du prix prédateur (Isaac and Smith 1985), et le second est tout simplement le reflet d’un avantage concurrentiel dont bénéficie l’entreprise en place.

En effet, soit l’entreprise en place a fixé sa tarification en cherchant à évincer délibérément les entrants potentiels, ce qui est un comportement de prix prédateur (illégal), soit la simple maximisation de profit de l’entreprise en place suffit à dissuader les entrants potentiels. Ce cas, rare, peut toutefois être un argument légal utilisé par une entreprise qui fait face à des accusations de stratégie de prix prédateur.

Lorsqu’utilisée dans le cadre d’une stratégie de prix prédateur, la fixation d’un prix «bas» fait partie des barrières à l’entrée stratégiques, par opposition aux barrières qualifiées de «naturelles», que les entreprises en place tentent de dresser pour dissuader de nouvelles entrées, ou pour les rendre moins profitables. Il existe plusieurs interprétations :

  • «On a longtemps considéré que les entreprises en place sur un marché étaient en mesure de dissuader l’entrée de nouveaux concurrents en établissant des prix inférieurs à ceux permettant de maximiser les profits.» (Glais 1992)
  • «La stratégie du prix limite consiste à choisir le prix de vente et la production de telle façon que la demande restante soit insuffisante pour qu’une autre entreprise pénètre sur le marché (Carlton and Perloff 2005)

Les deux interprétations se complètent. Les entreprises installées établissent leur niveau de production au-dessus du volume leur assurant le profit maximum, de façon à ce que la demande résiduelle ne permette pas à un entrant potentiel de dégager des profits, même en choisissant un prix de vente très faible. Pour les entreprises en place, l’arbitrage est simple : compenser à long terme, grâce à une moindre concurrence, les réductions de profit consenties à court terme. Les hypothèses de base du modèle sont les suivantes :

  • H1 : on se place sur deux périodes, avant et l’après l’entrée d’une nouvelle entreprise;
  • H2 : on considère deux entreprises, l’entreprise installée, présente durant les deux périodes, et l’entrant potentiel;
  • H3 : la demande est stable dans le temps;
  • H4 : les consommateurs sont indifférents au choix de l’une ou l’autre entreprise.

S’ajoutent à ces propositions de base deux hypothèses fondamentales, indispensables au fonctionnement du modèle de Sylos Labini (1962) :

  • H5 : l’entreprise en place maintient le niveau de production initial en période 2;
  • H6 : l’entrant potentiel anticipe une absence de réaction de l’entreprise installée à la suite de son entrée.

Ainsi, ce modèle stipule qu’un entrant potentiel évalue la production totale à l’issue de son entrée comme la somme de la production antérieure de l’entreprise en place et de sa propre production. Le prix de marché ne peut que diminuer une fois l’entrant installé.

Enfin, selon l’origine des barrières à l’entrée, l’entreprise en place déterminera différemment le prix limite : on distingue généralement les avantages absolus de coût, et les avantages liés aux économies d’échelle. Rappelons qu’un avantage absolu de coût correspond à un différentiel de coût entre deux entreprises, différentiel identique quelles que soient les quantités.

5.3.2 Cas d’un avantage absolu de coût en faveur de l’entreprise installée

Pour l’entreprise installée, la décision de bon sens évidente consistera à fixer son prix au niveau du coût moyen de l’entrant potentiel. De cette façon, à ce prix :

  • l’entreprise en place continuera à réaliser des profits;
  • l’entrant potentiel ne sera pas incité à entrer sur un marché où le prix ne lui permet pas d’être rentable; de plus, comme l’entrant potentiel anticipe une baisse du prix après son entrée sur le marché, cela aggrave ses prévisions de pertes.

Cette dernière remarque nous invite d’ailleurs à aller un peu plus loin. En effet, il est possible de montrer que le prix fixé par l’entreprise installée peut être supérieur au coût moyen de l’entrant potentiel, et dissuader malgré tout son entrée sur le marché. En effet, le prix qui intéresse l’entrant potentiel c’est le prix du marché qui prévaudra à l’issue de l’entrée, prix qui dépend des quantités totales produites par les deux entreprises. Si l’entrant potentiel anticipe que ce nouveau prix ne couvrira pas son coût unitaire, il n’entrera pas sur le marché (même si, dans la première période, le prix du marché était supérieur à son coût unitaire, pouvant faire croire à des profits assurés).

Démontrons la proposition précédente. Sur un marché, la fonction de demande d’un produit est donnée par la forme classique : \(P=a×q+b\), avec \(a< 0\) et \(b ≥ 0\).

Pour simplifier, on supposera que l’entreprise installée \(f\) produit une quantité \(q_f\) à coûts constants \(Cm=CM=c\). Imaginons qu’une entreprise e désire entrer sur le marché pour produire une quantité qe à un coût \(c_e\) (avec \(c_e>c\) afin de respecter l’existence de l’avantage absolu de coût). À quel niveau l’entreprise installée peut-elle fixer son prix pour rendre l’entrée sur le marché non profitable? Il est clair que l’on cherche la valeur maximale de ce prix, sachant qu’un prix fixé à ce répondrait déjà à la question.

Puisque l’hypothèse H6 dit que l’entrant pense que l’entreprise installée ne modifiera pas sa production à la suite de son entrée sur le marché, on supposera que l’arrivée du concurrent occasionne une baisse du prix du marché à cause de la production supplémentaire de l’entrant. Ainsi, pour que l’entrée sur le marché ne soit pas profitable, il faut que le prix du marché, à l’issue de l’entrée, soit inférieur au coût de production de l’entrant potentiel.

Or, le prix du marché à l’issue de l’entrée sur le marché est égal à :

\[\begin{equation} P=a \times (q_f+q_e ) + b \tag{5.1} \end{equation}\]

Dire que le prix du marché doit être inférieur au coût de l’entrant permet de poser :

\[\begin{equation} P < c_e \iff a \times (q_f+q_e) + b < c_e \tag{5.2} \end{equation}\]

Or, le prix pratiqué par l’entreprise en place conduisant à une quantité qf est égal à \(P_f\) :

\[\begin{equation} P_f = a \times q_f + b \implies q_f = \frac{1}{a} \times (q_f-b) \tag{5.3} \end{equation}\]

En insérant l’équation (5.3) dans l’équation (5.2), on trouve :

\[\begin{equation} a\left(\frac{1}{a} \times \left(P_f-b)\right) + q_e \right) +b < c_e \\ \iff P_f < c_e - a \times q_e \\ \iff P_f < c_e +|a| \times q_e \tag{5.4} \end{equation}\]

Ainsi, le prix de vente qui dissuadera l’entrée d’un concurrent potentiel sur le marché est donné par l’inégalité précédente : il s’agit du prix limite. Plus l’entrant a fixé un volume de production important, plus le prix du marché baissera après son entrée sur le marché et plus le prix limite pourra être élevé par rapport aux coûts de l’entrant.

Par un raisonnement algébrique identique, on peut montrer que la condition Pf>c – a×qe (toujours avec a< 0) doit être satisfaite pour que l’entreprise installée ne fasse pas de perte après l’entrée d’un concurrent sur le marché. En effet, si le prix limite est fixé à un niveau trop faible, le prix du marché résultant peut devenir inférieur au coût de production de l’entreprise en place (et ce, même si le coût de production de l’entrant potentiel est supérieur à celui de l’entreprise installée).

Ainsi, dans la configuration décrite, l’entreprise installée peut dissuader l’entrant potentiel en fixant un prix \(P_f\) tel que :

\[\begin{equation} c + |a| \times q_e<P_f<c_e + |a| \times q_e \tag{5.5} \end{equation}\]

5.3.3 Cas d’un avantage lié à la présence d’économies d’échelle

Imaginons cette fois que l’entreprise installée et l’entrant potentiel disposent de la même technologie, c’est-à-dire qu’ils possèdent une structure de coût identique. Dans ce cas, l’entreprise en place peut profiter de sa présence antérieure sur le marché pour dégager d’importantes économies d’échelle (donc vendre d’importantes quantités) et ne laisser à l’entrant potentiel qu’un volume trop faible pour être rentable.

Il y a plusieurs cas possibles33. On peut tout d’abord envisager le cas particulier assez simple où l’équilibre de monopole, très avantageux pour l’entreprise en place, décourage l’entrant potentiel. Si l’entreprise en place fixe un prix \(P_M\) et une quantité \(q_M\) (équilibre de monopole), on constate que la demande résiduelle ne permettra pas à l’entrant potentiel de réaliser des profits puisque la quantité \(q_E\) qui maximise le profit de l’entrant conduit à un prix de vente \(P_E\) inférieur au coût moyen \(CM_E\). Dans ce cas, le prix limite pour l’entreprise installée correspond au prix \(P_M\).

Dans la réalité, les coûts sont rarement aussi favorables à l’entreprise installée que le graphique de la figure 5.2 le suggère, et le prix issu de l’équilibre de monopole permet rarement de dissuader l’entrée sur le marché d’un concurrent.

Prix limite et équilibre de monopole (a).

Figure 5.2: Prix limite et équilibre de monopole (a).

Dans la figure 5.3, par exemple, le prix de monopole \(P_M\) (et la quantité associée) conduit l’entrant potentiel à bénéficier d’une demande résiduelle (notée \(DR_1\)) lui permettant de réaliser un profit.

Prix limite et équilibre de monopole (b).

Figure 5.3: Prix limite et équilibre de monopole (b).

En revanche, si l’entreprise en place fixe le prix au niveau \(P_L\), alors la demande résiduelle (notée \(DR_2\)) restant à l’entrant potentiel ne permet pas la réalisation d’un profit : l’équilibre de l’entrant issu de l’intersection entre la recette marginale résiduelle et le coût marginal, conduit à un prix de vente \(P_E\) forcément inférieur au coût moyen.

L’entreprise installée décidera donc de vendre \(q_L\) au prix \(P_L\), ce qui réduit son profit, mais lui assure le blocage de toute entrée sur le marché. Le prix \(P_L\) est fixé de manière à ce que la demande résiduelle de l’entrant soit tangente à la courbe de coût moyen. Sur le graphique de la figure 5.3, on constate par ailleurs que l’entreprise en place opère près du minimum du coût moyen (zone où les économies d’échelle sont les plus fortes), alors que l’entrant potentiel est assez éloigné de ce minimum.

5.3.4 Limites et critiques du modèle de prix limite

Au fil des années, les spécialistes des stratégies de prix ont mis en évidence un certain nombre de limites; il s’agit souvent d’enrichissements, parfois de critiques sévères.

Manque de réalisme des hypothèses H5 et H6. Pour l’entreprise installée, l’hypothèse selon laquelle elle va maintenir son niveau de production initial après l’arrivée sur le marché d’une nouvelle entreprise manque de réalisme, surtout si l’entrant est une entreprise de grande taille, à l’assise financière solide. Non seulement cette stratégie n’est-elle pas optimale pour l’entreprise en place, qui est certaine de ne plus maximiser plus son profit34, mais de surcroît, elle peut même provoquer des pertes.

Reprenons le graphique de la figure 5.3 et imaginons que malgré le prix limite \(P_L\) fixé par l’entreprise installée, l’entreprise décide quand même d’entrer sur le marché. Le prix du marché va alors s’établir au niveau \(P_E\) et, dans ce cas, cela conduira l’entreprise en place à faire des pertes, puisqu’elle maintient, selon la théorie, la quantité à \(Q_L\) et la vend à un prix inférieur à la valeur du coût moyen associé. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, elle pourrait obtenir des profits supérieurs en acceptant de partager le marché, par exemple, dans le cadre d’un équilibre de Cournot-Nash. Ainsi, pour la plupart des tenants de la «nouvelle économie industrielle», la stratégie du prix limite telle que décrite ci-dessus n’est pas crédible et ne dissuade finalement pas l’entrant potentiel.

Crédibilité et information. La nature de l’information joue un rôle important. Lorsqu’il y a symétrie d’information entre les deux entreprises, on peut penser que l’entrant potentiel ne sera pas dupe et que, connaissant notamment les coûts de l’entreprise déjà installée sur le marché, il anticipera une réduction des quantités de la part de son concurrent, donc un partage du marché.

En revanche, en cas d’asymétrie d’information, la dissuasion peut fonctionner. On lira avec intérêt l’article de Milgrom et Roberts (1987), qui fait un excellent survol de la littérature, ou encore celui de Lott et Opler (1996). Si l’entrant potentiel pense que le prix fixé par l’entreprise installée reflète réellement le faible niveau de son coût de production, il pourrait hésiter à entrer sur le marché, considérant que sa stratégie est de faible rentabilité. Cela fait référence à ce que Schelling (1960) appelle un «mouvement stratégique» : «C’est celui qui influence le choix d’autrui d’une manière favorable à soi-même, par la modification des attentes de l’autre concernant la façon dont on va soi-même se comporter.» (Schelling 1960) Milgrom et Roberts (1982b) démontrent que les trois équilibres existent dans le cas d’asymétries d’information : la probabilité d’entrer sur le marché peut être inférieure, identique ou supérieure par rapport au cas d’information complète où la stratégie du prix limite ne serait pas mise en place.

Finalement, pour modifier de façon crédible les attentes des concurrents, il est nécessaire d’envisager soit un engagement irrévocable, en cas d’information complète, soit un engagement perçu comme étant irrévocable, en cas d’information incomplète. Dans le premier cas, une stratégie de blocage d’entrée ou de rétorsion ne sera crédible que si elle s’accompagne d’un sacrifice volontaire et irréversible de sa propre liberté de choix. À ce sujet, Schelling (1960) notait que les stratégies crédibles «reposent sur le paradoxe que le pouvoir de contraindre un adversaire dépend du pouvoir de se contraindre irrévocablement soi-même». Mais pour l’entreprise installée, rendre la stratégie du prix limite crédible, c’est aussi faire en sorte qu’après l’entrée sur le marché d’un concurrent, il soit optimal ou au moins rentable pour elle de produire les \(Q_L\) unités au prix limite \(P_L\).

Jacquemin (1985b) considère effectivement que la création de barrières à l’entrée stratégiques repose sur deux exigences :

En premier lieu, l’entreprise qui se lance dans une telle politique doit assurer sa crédibilité aux yeux des concurrents, de telle sorte que le comportement de ces derniers se trouve effectivement contraint par sa politique. En second lieu, l’entreprise doit être également assurée de sa rentabilité, en ce sens que les dépenses occasionnées par cette politique sont plus que compen-sées par le supplément de recettes qui en résultent.

Les modèles qui décrivent ce type de raisonnement reposent sur le concept d’équilibre parfait, proposé par Selten (1978) . Rappelons que dans l’équilibre de Nash, les entreprises considèrent comme données toutes les stratégies possibles de leurs concurrents, quelles que soient ces stratégies. Au contraire, l’équilibre parfait exclut les stratégies qui correspondent à des menaces non crédibles. Ces dernières sont des stratégies qui ne seraient pas mises en œuvre parce que leur exécution irait à l’en-contre des propres intérêts des entreprises concernées. L’illustration des réflexions précédentes sous forme de théorie des jeux fait l’objet du paragraphe suivant.

Le modèle de Selten (1978) [Adapté de Reinhard Selten (1960). Voir aussi The Editors of The Scandinavian Journal of Economics, 1995, p. 49-53.]

Une chaîne de supermarchés A possède 20 magasins dans 20 localités différentes. Sur chaque marché, il y a un seul entrant potentiel. La question est de savoir comment l’entreprise en place doit décider de sa tarification. Si l’entreprise en place est accommodante à l’entrée, chaque entreprise a un profit πA, avec πA>πEP (avec πEP représentant le profit de l’entrant potentiel, EP). Si l’entreprise en place décide de mettre en œuvre une stratégie de prix prédateur, alors le profit de l’entrant potentiel est nul (πEP= 0), mais celui de l’entreprise en place est inférieur à ce qu’il serait dans la situation où elle déciderait d’être accommodante. L’entreprise en place pourrait jouer la stratégie prédatrice sur tous les marchés sauf le dernier pour chasser les entrants, bien que les profits soient inférieurs, et faire néanmoins des superprofits sur le dernier marché.

Selten (1978) explique en effet que sur le dernier marché, il est certain que l’entreprise dominante sera accommodante afin de maximiser son profit. Cependant, sur l’avant-dernier marché, l’entrant potentiel sait que l’entreprise en place jouera la stratégie accommodante sur le dernier marché et qu’elle n’a donc pas intérêt à jouer la menace en choisissant la stratégie prédatrice qui lui amènerait des profits inférieurs. Ainsi de suite, jusqu’au premier marché. Le paradoxe est que dans un jeu répété à horizon fini, la menace d’une stratégie prédatrice n’est pas crédible. Rosenthal (1981) développera un modèle illustrant ce paradoxe, s’inspirant des travaux pionniers de Zermelo(1913).

Modèle de A. Dixit. Le modèle développé par Dixit (1980, 1982) a connu un succès considérable. D’autres auteurs, tels que Spence (1977), ont présenté des modèles assez proches. Grâce à la création d’un «excédent de capacité», c’est-à-dire en surinvestissant dans des moyens de production et en le faisant savoir, cela va rendre crédible la menace de l’entreprise installée. C’est le caractère irréversible de l’engagement qui assure la crédibilité de la stratégie de l’entreprise en place. Il est possible de visualiser ce jeu sous forme extensive (fig. 5.4).

Illustration du modèle de Dixit (1980)

Figure 5.4: Illustration du modèle de Dixit (1980)

Présentons la stratégie optimale de chaque entreprise, en considérant deux situations possibles :

  • situation A : un comportement passif est adopté par l’entreprise installée, qui ne cherche pas à modifier les attentes du concurrent potentiel (partie supérieure de l’arbre);
  • situation B : un comportement stratégique est permis; dans ce cas, l’entreprise installée peut mener une stratégie de menace crédible (arbre tout entier).

Situation A : Étude de la situation où seul le comportement passif est adopté. Il s’agit d’un jeu séquentiel à deux étapes :

  • la première étape correspond à la décision d’entrée de l’entreprise potentiellement concurrente;
  • la deuxième étape correspond au choix par l’entreprise installée d’une stratégie de partage ou de guerre.

Expliquons d’abord les gains des joueurs :

  • si l’entrant potentiel reste dehors, l’entreprise installée gagne un profit de monopole \(\pi_M\);
  • si l’entrée sur le marché a lieu, l’entreprise installée peut choisir entre :
    • un partage du marché, où les duopoleurs obtiennent un profit \(\pi_D\);
    • une guerre, mutuellement destructrice, où les gains sont des pertes d’un montant \(\pi_G\).

On supposera logiquement que \(\pi_M>\pi_D> 0 >\pi_G\).

Dans ce cas, l’ensemble de stratégies «rester en dehors du marché» (pour l’entrant potentiel) et «faire la guerre en cas d’entrée» (pour l’entreprise installée) est un équilibre de Nash, car, comme le dit la définition d’un tel équilibre, aucun des joueurs ne souhaite modifier sa stratégie étant donnée celle choisie par l’autre.

Considérons le sous-jeu commençant au second nœud de la branche «Entreprise en place» de la figure 5.4. Il est clair que la guerre n’est pas une menace crédible, car ce ne serait pas la réponse optimale de l’entreprise installée en cas d’entrée, et ceci est connu de l’entrant. Ainsi, le vecteur de stratégies «entrer» et «partager» est un équilibre de Nash pour le sous-jeu en question. Mais c’est aussi un équilibre de Nash pour tous les sous-jeux extraits du jeu initial. Il s’agit donc d’un équilibre parfait35. Par conséquent, l’unique équilibre de Nash parfait est le vecteur de stratégies «entrer» et «partager».

Situation B : Étude de la situation où le comportement stratégique est intégré. Supposons maintenant que l’entreprise installée décide de réaliser un investissement spécifique et irrévocable, d’un montant c; il peut s’agir d’une capacité de production supplémentaire. Respectant les hypothèses du modèle, on admettra que si la guerre des prix a lieu, les gains de l’entreprise installée seront toujours de \(\pi_G\); dans les autres cas, ses gains seront diminués du montant c.

Il s’agit maintenant d’un jeu séquentiel en trois étapes :

  • l’entreprise installée choisit ou non d’adopter un comportement stratégique;
  • connaissant la décision de l’entreprise installée, l’entrant potentiel choisit ou non d’entrer sur le marché;
  • connaissant la décision de l’entrant potentiel, l’entreprise installée choisit ou non de faire la guerre.

Rappelons que le comportement stratégique de l’entreprise en place doit être jugé en fonction des deux critères de Jacquemin (1985b) cités précédemment :

  • son impact sur les décisions de l’entrant potentiel;
  • la rentabilité de l’investissement que ce comportement stratégique implique.

Un raisonnement à rebours est indispensable pour déterminer les solutions d’un tel jeu. Les trois étapes du raisonnement sont les suivantes :

  1. Plaçons-nous dans la partie inférieure de l’arbre. Pour que l’entreprise installée décide de faire la guerre, il faut que la perte en cas de partage soit plus grande que la perte en cas de guerre, c’est-à-dire que :

\[\begin{equation} \pi_G>\pi_D – c \tag{5.6} \end{equation}\]

Dans ce cas, la stratégie optimale de l’entrant est de rester en dehors du marché, sans quoi il s’expose à des pertes d’un montant \(\pi_G\) .

  1. Sachant cela, l’entreprise installée doit décider (récursivement) de son comportement : passif ou stratégique ? Elle ne choisira l’engagement stratégique que si ses gains sont supérieurs aux gains obtenus en cas de comportement passif, c’est-à-dire si :

\[\begin{equation} \pi_M – c>\pi_D \tag{5.7} \end{equation}\]

En effet, on sait que si l’entreprise installée choisit la passivité, l’équilibre est forcément «partager»-«entrer», avec des gains de duopole pour les deux entreprises.

  1. Ainsi, l’entreprise installée utilisera sa menace crédible et empêchera l’entrée sur le marché si et seulement s’il existe un engagement stratégique dont le coût c satisfait les deux conditions précédentes. Ces dernières peuvent se combiner pour n’en donner qu’une :

\[\begin{equation} \pi_M – \pi_D>c>\pi_D – \pi_G \tag{5.8} \end{equation}\]

Ainsi, la mise en œuvre d’une menace crédible, coûteuse pour l’entreprise installée, ne sera décidée qu’après la succession d’arbitrages que Dixit (1980) a mis en évidence dans ce modèle. La théorie des jeux permet donc d’avoir une vision plus précise des barrières à l’entrée que l’approche traditionnelle de J. Bain ne le permettait.

La relative facilité avec laquelle il est possible de modifier les prix peut laisser croire que les prix sont des variables économiques à faible valeur d’engagement. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication accentuent cette idée. Cependant, il ne faut pas oublier que le niveau des prix est fréquemment fonction des volumes mis en vente. C’est pourquoi, lorsque des investissements irréversibles et spécifiques sont décidés, les prix traduisent de fortes valeurs d’engagement et constituent de réelles barrières à l’entrée.

Il semble cependant bien difficile de porter un jugement définitif sur la théorie du prix limite. En effet, lorsque les entreprises sont en situation de monopole ou de domination, le prix fixé est généralement élevé, donc contraire à la théorie qui voudrait que le prix soit plus faible. Puis, avec l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché, le prix a tendance à baisser. Le problème consiste à distinguer les baisses stratégiques, effectuées dans le but de limiter le nombre des nouvelles entrées, des baisses pratiquées pour survivre. L’étude des stratégies prédatrices va prolonger ces réflexions.

5.4 Verrouillage du marché : la stratégie du prix prédateur

Sauf engagements irréversibles, asymétrie d’information ou forte présence d’économies d’échelle, la stratégie de prix limite ne dissuade guère une concurrence potentielle déterminée. C’est pourquoi la stratégie de prix prédateur est plus agressive et caractérisée par la volonté de faire périr ses concurrents ou d’empêcher toute entrée sur le marché (Salop 1979). Ces stratégies éloignent l’entreprise de l’éthique concurrentielle et ne sont pas toujours considérées comme l’expression d’une saine gestion.

D’un point de vue pratique, une stratégie prédatrice a pour objectif de créer une barrière à l’entrée, appelée dans le vocabulaire légal un «verrouillage du marché».

5.4.1 Définitions, hypothèses et motivations

La Commission européenne (2002) définit la pratique de verrouillage du marché comme un «comportement stratégique d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises consistant à restreindre les possibilités d’accès au marché de concurrents potentiels, soit en amont (marché en amont), soit en aval (marché en aval)». Le verrouillage du marché peut prendre différentes formes. Une entreprise peut, par exemple, se réserver des sources importantes de matières premières ou des canaux de distribution en passant des contrats d’exclusivité et fermer ainsi le marché aux concurrents. Il est intéressant également de voir les définitions des articles 101 et 102 du traité de Lisbonne données ci-après.

Articles 101 et 102 du Traité de lisbonne Article 101 (ex-article 81 TCE)

  1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :
  1. fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,
  2. limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
  3. répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,
  4. appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
  5. subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.
  1. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

  2. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :

    • à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,
    • à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et
    • à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :
      1. imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
      2. donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence.

Article 102 (ex-article 82 TCE)Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

  1. imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,
  2. limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
  3. appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
  4. subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. [Journal officiel de l’Union européenne (2008)]

On parle donc de «stratégie de prédation ou d’éviction» lorsqu’une entreprise, généralement dominante, fixe ses prix, pendant une période de temps suffisamment longue, à un niveau si bas qu’un ou plusieurs de ses concurrents doivent quitter le marché ou encore que d’autres entreprises doivent renoncer à y entrer. Une fois que les concurrents ont abandonné le marché ou que les entrées potentielles sont évitées, le prédateur pourra alors augmenter ses prix de façon significative.

Le point fondamental, que toute réflexion sur ce sujet ne doit jamais négliger, est la possibilité pour une entreprise, tout en pratiquant une stratégie de prix bas, d’en éliminer une autre, sans pour autant être considérée comme prédatrice. Comme le soulignent Rey et Tirole (1997),

elle suppose de distinguer entre une “pratique innocente”, résultant de la simple maximisation des profits étant données les décisions des concurrents, et une “pratique agressive”, qui trouve sa motivation dans une considération stratégique visant à l’élimination d’un concurrent.

La grande difficulté réside donc dans le fait que certaines stratégies peuvent être aussi bien assimilées à une pratique innocente qu’à une pratique agressive. C’est par exemple le cas, dans le cadre du lancement d’un nouveau produit, des campagnes publicitaires massives et des prix d’appel.

La prédation suppose que le prix de vente soit fixé à un niveau inférieur au coût de production, la perte à court terme qui en découle devant être plus que compensée par les gains à long terme, gains issus d’un pouvoir de marché renforcé. Comme dans le cadre théorique des stratégies de prix limite, l’entreprise prédatrice, pour réussir, doit être crédible aux yeux de deux catégories d’adversaires :

  • ses concurrents doivent être convaincus que l’entreprise prédatrice maintiendra ses prix de vente au-dessous de leurs coûts de production, tant qu’ils n’auront pas quitté le marché;
  • les concurrents potentiels doivent être convaincus qu’ils n’ont aucun intérêt à entrer sur le marché.

D’un point de vue théorique, deux axes de réflexion ont été proposés quant à la stratégie de prédation :

  • le prix volontairement bas pratiqué par le prédateur constitue le signal d’une certaine puissance, c’est-à-dire d’une efficacité productive ou commerciale, matérialisée ou non par des coûts de production assez faibles (voir le modèle de Milgrom et Roberts);
  • la stratégie de prédation provoque une réduction des profits des concurrents et peut les placer dans des situations très difficiles, les obligeant à quitter le marché : cette situation correspond à la théorie dite «du portefeuille bien rembourré». Dans cette perspective, on considère que l’entreprise prédatrice dispose de moyens financiers supérieurs à ceux des entrants potentiels, qui ne pourront pas se maintenir très longtemps dans le secteur, faute de ressources suffisantes.

Par hypothèse, il est donc nécessaire que l’entreprise prédatrice dispose de moyens financiers suffisants pour se permettre de telles dispositions, comme le souligne le graphique de la figure 5.5.

Avantages  en  coûts.

Figure 5.5: Avantages en coûts.

Ce graphique suppose que :

  • deux entreprises ayant une structure de coût identique se partagent le marché;
  • l’entreprise prédatrice est anciennement installée, la victime est nouvellement arrivée;
  • lorsque le prix du marché est \(P^*\), les consommateurs achètent une quantité \(q^*\).

Pour faire baisser le prix au niveau \(P^*\), l’entreprise prédatrice accepte d’accroître ses ventes au niveau qh. La victime vend la différence entre \(q^*\) et \(q_h\), c’est-à-dire \(q_k\). L’entreprise prédatrice subit une perte bien supérieure (rectangle en pointillé gras dans la figure) à celle de la victime (qui ne perd que la surface A dans la figure). Finalement, pour exclure la victime du marché, l’entreprise prédatrice doit disposer de moyens financiers très élevés. À niveau d’efficience égal (mêmes coûts de production), les spécialistes considèrent que cette stratégie de prédation n’est pas crédible. C’est d’ailleurs la raison qui conduit les autorités antitrust à surveiller le comportement des entreprises dominantes.

La politique de prix prédateur semble cependant parfaitement justifiée dans les situations où l’attaquante est une entreprise multi-produits qui intervient sur plusieurs marchés, tandis que sa victime est mono-produit. Ce type de prédation a notamment été formalisé par D. Kreps et R. Wilson (1982). L’entreprise prédatrice possède ainsi le moyen de mobiliser d’importantes ressources financières, tirées des autres marchés. De plus, par une attitude agressive sur un seul marché, elle peut ainsi se construire une réputation globale d’agressivité, afin de limiter la concurrence potentielle dans les autres marchés. Même si le coût de la prédation est élevé sur le marché où l’entreprise décide d’être prédatrice, il y a de fortes chances pour qu’il soit néanmoins inférieur aux bénéfices engendrés par la situation de domination sur tous les autres marchés.

La prédation peut aussi permettre d’acquérir une entreprise à un prix plus intéressant : il s’agit donc ici, non d’une volonté de faire sortir un concurrent du marché, mais de le fragiliser avant l’achat. On parle dans ce cas de «prédation pour fusion ou acquisition».

Faire baisser la valeur des «proies» pour faciliter l’acquisition

Dans un article intéressant, Burns (1986) étudie notamment le cas du comportement de l’American Tobacco Company entre 1891 et 1906. Il montre que cette société s’est engagée dans une stratégie de prix prédateur fondée sur la création d’asymétries d’information et sur de fortes baisses des prix de vente. Sur cette période, l’American Tobacco a acquis une quarantaine de concurrents. La prédation systématique avait donc pour objectif de faciliter l’acquisition, notamment en provoquant une diminution de la valeur des «proies». Selon Carlton et Perloff (2005), la prédation a réduit les coûts d’acquisition d’environ 25 %.

5.4.2 Modèle de Milgrom et Roberts

Plusieurs modèles ont mis l’accent sur l’importance des asymétries d’information et tentent de justifier la rationalité des stratégies prédatrices menées par les entreprises installées par la création d’asymétries d’information. C’est notamment le cas du célèbre modèle de Milgrom et Roberts (1982a, 1982b)36. Ce modèle aurait pu être présenté dans le cadre de l’étude plus générale du prix limite.

Hypothèses du modèle. Il s’agit d’un modèle sur deux périodes faisant intervenir deux entreprises A et B. Lors de la période 1, l’entreprise A est en situation de monopole; à la période 2, l’entreprise B peut choisir d’entrer sur le marché ou non. Les auteurs supposent que B ne connaît le coût de production de A qu’une fois entrée sur le marché.

Les auteurs considèrent que le coût de production de A peut être soit faible (noté \(C_F\)), soit élevé (noté \(C_E\)). Le prix de monopole qui maximise le profit de A lors de la période 1 :

  • sera faible (noté \(P_F\)) lorsque le coût est faible;
  • ou sera élevé (noté \(P_E\)) lorsque le coût est élevé, avec \(P_F<P_E\).

Le profit de monopole de A est alors égal :

  • à \(M\frac{A}{F}\) lorsqu’elle fixe un prix faible \(P_F\) et qu’elle a des coûts de production faibles \(C_F\);
  • à \(M\frac{A}{E}\) lorsqu’elle fixe un prix élevé \(P_E\) et qu’elle a des coûts de production élevés \(C_E\).

Si l’entreprise B décide d’entrer sur le marché, les profits de duopole des deux entreprises, en période 2, seront égaux :

  • à \(D\frac{A}{F}\) et \(D\frac{B}{F}\) lorsque l’entreprise A a des coûts de production faibles \(C_F\);
  • à \(D\frac{A}{E}\) et \(\frac{B}{F}\) lorsque l’entreprise A a des coûts de production élevés \(C_E\) .

Par ailleurs, supposons que pour l’entreprise B, on ait \(D\frac{B}{F} < 0 <D \frac{B}{E}\) .

Cette hypothèse est essentielle à la bonne compréhension des comportements stratégiques des entreprises A et B. Cela signifie que l’entreprise B n’entre sur le marché que si les coûts de l’entreprise A sont élevés; dans le cas contraire, l’entreprise B reste en dehors du marché puisqu’elle réalise un profit négatif.

Comportements stratégiques. Comme par définition le profit de monopole est toujours supérieur au profit de duopole, quel que soit le niveau des coûts de production, soit :

\[\begin{equation} M\frac{A}{F} > D\frac{A}{F} \quad \text{et} \\ M\frac{A}{E} > D\frac{A}{E} \quad \text{,} \tag{5.9} \end{equation}\]

l’entreprise A a tout intérêt à ce que l’entreprise B imagine que le coût de production de A est faible. Ainsi, en période 1, l’entreprise A peut adresser à l’entreprise B un signal en fixant son prix de vente à un niveau faible \(P_F\) , même lorsque son coût de production est élevé. Dans ce cas, elle ne maximise plus son profit en période 1, mais espère que cette réduction du profit sera plus que compensée par une situation de monopole durable, liée à la faible incitation à entrer dans le secteur.

La question qui se pose maintenant est de savoir si ce signal, cette menace est crédible. Après tout, les entrants potentiels sont rationnels et sont conscients que la fixation d’un prix faible est parfois un bluff. Comme les entreprises installées savent que les entrants potentiels savent, elles peuvent décider de fixer un prix encore plus faible que le prix \(P_F\) .

Selon ces hypothèses, les auteurs indiquent qu’il existe deux sortes d’équilibres :

  • cas d’un équilibre dit «séparateur» ou encore «révélateur», lorsqu’en période 1 l’entreprise installée établit son prix de vente en fonction de ses coûts de production. Si ces derniers sont élevés, l’entreprise A choisira le prix de monopole \(P_E\) . S’ils sont faibles, A fixera le prix à un niveau inférieur à \(P_F\);
  • cas d’un équilibre dit «mélangeant», lorsqu’en période 1 l’entreprise installée décide du prix sans référence aux coûts de production.

5.4.3 Limites d’une stratégie de prédation

Le problème de la crédibilité de la stratégie de prédation se pose, car elle nécessite d’importantes ressources pour un résultat aléatoire. Après avoir lutté de la sorte contre un ou deux adversaires et gagné la partie, l’entreprise prédatrice ne saurait affronter encore d’autres concurrents (entrants potentiels) : or, dans la plupart des secteurs, la concurrence est dynamique et en perpétuel renouvellement. Même la réputation de prédatrice acquise par une entreprise ne suffit pas sur le moyen-long terme pour effrayer les concurrents.

D’autres arguments ont été fournis, tels que ceux donnés par Easterbrook (1981) :

  • L’entreprise dominante n’aurait pas intérêt à fixer un prix prédateur, car le client pourrait anticiper la situation où le prédateur serait en monopole (à l’issue de la guerre des prix) et passer un contrat de longue période avec l’entreprise agressée, à la fois pour bénéficier de conditions plus avantageuses et pour ne pas être ensuite sous la dépendance d’une seule entreprise.
  • L’entreprise dominante n’aurait pas intérêt à fixer un prix prédateur, car elle est rationnelle, et la perte sèche (triangle à droite de la fonction de demande dans la figure 5.6) occasionnée par la guerre des prix est dissuasive.
Stratégie  de  prédation.

Figure 5.6: Stratégie de prédation.

Très tôt, certains spécialistes se sont montrés sceptiques quant à l’efficacité d’une politique de prédation; ainsi, Leeman (1956)37 note un certain nombre de limites, dont les plus importantes sont reprises ci-dessous, sans prétendre à l’exhaustivité :

  • Les entrants potentiels peuvent être financièrement forts et ainsi ne pas être effrayés par les menaces et la puissance du prédateur.
  • Les capacités productives des victimes de la prédation ne disparaissent pas de la branche pendant la guerre des prix; au contraire, elles restent et peuvent être achetées par un tiers à un prix intéressant, ce qui fera de ce tiers un concurrent plus redoutable, puisque ses coûts seront plus faibles que ceux de la victime.
  • Parce qu’il est probable qu’elle produise un volume plus élevé, il est probable que le prédateur perdra de l’argent à un rythme plus élevé pendant la guerre des prix, et ainsi, nécessitera plus de ressources financières que la victime. Ce qui compte donc n’est pas la santé en valeur absolue, mais la santé des entreprises par rapport à leurs besoins.
  • Enfin, sur des marchés parfaitement contestables, la prédation a très peu de chances d’aboutir. En effet, par définition, l’entreprise attaquée a la possibilité de sortir du marché sans subir de coûts irrécupérables. Elle pourra donc effectuer des entrées et sorties répétées, en fonction de la stratégie du prédateur.

5.4.4 Études empiriques et aspects juridiques

Aux États-Unis, de nombreuses études ont été menées pour analyser les cas de prédation. Certaines dressent des statistiques, d’autres évoquent des cas plus précis. Les autorités antitrust fournissent un cadre de référence.

Études empiriques et cas typiques de prédation. Parmi toutes les études statistiques, on en retiendra une qui se base sur 95 cas où les autorités antitrust sont intervenues dans le cadre d’une procédure judiciaire pour prix prédateurs. La prédation a été définie comme la stratégie consistant à fixer le prix de vente à un niveau inférieur au coût moyen à court terme. Pour 69 cas, l’analyse n’a pas pu être réalisée, car les données étaient insuffisantes. Pour les 26 cas restants, 7 cas indiquent une volonté de prédation (4 pour éliminer le concurrent et 3 pour faire une fusion); 16 cas n’indiquent pas de volonté de prédation et 3 cas traduisent une certaine indécision : on ne sait pas sʼil y a eu ou non volonté d’agression.

Comportements agressifs pour contrer la concurrence

Par exemple, le marché des microprocesseurs a donné lieu à des comportements agressifs, très proches de la prédation. L’entreprise Intel, pour contrer la concurrence d’AMD (Advanced Micro Devices Inc.), aurait à plusieurs reprises fortement baissé ses prix de vente et augmenté sa production. Ainsi, une baisse significative aurait été constatée sur les processeurs Intel 486.

Malgré les procès et l’importance des moyens mis en œuvre pour «faire la preuve», il reste très difficile de prouver clairement la prédation. Il est nécessaire de disposer de nombreuses informations.

Dispositions juridiques. La prédation est un acte grave et contraire à la déontologie des affaires; lorsqu’elle est décelée, elle est sévèrement réprimée.

Au Canada, la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-34) réglemente le commerce en matière de complots, de pratiques commerciales et de fusionnements qui touchent à la concurrencê [Ministère de la Justice − Canada (1985)]. Elle a été actualisée plusieurs fois.

En 2002, le Plan d’actualisation du régime de concurrence canadien recommandait de décriminaliser les actes visés par les trois dispositions régissant l’établissement anticoncurrentiel des prix afin que le tout puisse être examiné au civil en vertu de l’article 79 qui porte sur la position dominante. Il était précisé que le Tribunal de la concurrence était davantage en mesure qu’un tribunal judiciaire d’évaluer les répercussions concurrentielles des pratiques d’établissement des prix. L’alinéa 50(1)c), disposition criminelle régissant la fixation de prix d’éviction, a donc été abrogée (Parlement du Canada 2002).

Pour les tribunaux qui doivent trancher, il est essentiel de disposer d’outils clairement définis permettant de dire à quel moment la prédation est reconnue et à quel moment elle ne l’est pas. Ainsi, elle ne l’est pas dans le cas d’une politique de prix limite où le prix de vente est supérieur au coût moyen total. La jurisprudence américaine s’est appuyée sur les travaux dʼAreeda et Turner (1975). Une politique de prix est prédatrice lorsque le prix de vente est inférieur au coût marginal à court terme. Comme le prix n’est égal au coût marginal qu’en situation de concurrence pure et parfaite, le fait de lui être inférieur relèvera d’un comportement non conforme au jeu normal de la concurrence. Lorsqu’il est difficile d’obtenir le coût marginal, on peut lui substituer le coût variable moyen.

La démarche visant à faire la preuve de la prédation s’effectue habituellement en deux étapes, résumées ici par deux questions :

  1. Le présumé prédateur détient-il un pouvoir de marché, autrement dit, a-t-il la capacité d’influencer de façon unilatérale les prix dans le secteur concerné ? Au-delà d’une part de marché fixée par les autorités (au Canada, 35 %), on considère souvent que l’entreprise détient un certain pouvoir de marché. On prend aussi en considération le nombre total de vendeurs et les disparités de taille qui existent entre les vendeurs.
  2. Dans le cas où la réponse à la question précédente est positive, on peut alors poser la question suivante : les prix sont-ils déraisonnablement bas ?

On comparera alors le prix et le coût de production, selon trois règles empiriques :

  1. Un prix supérieur ou égal au coût total moyen du présumé prédateur ne sera pas considéré comme «déraisonnablement bas», indépendamment de son pouvoir de marché.
  2. En revanche, un prix inférieur au coût variable moyen du présumé prédateur sera généralement considéré comme «déraisonnablement bas», sauf dans certains cas particuliers, clairement justifiés (liquidation de stocks, par exemple).
  3. Lorsque les prix se situent entre ces deux niveaux, il devient difficile de trancher, et l’examen d’informations complémentaires sʼavère indispensable : l’importance de la demande, l’existence de capacité excédentaire, la preuve directe ou indirecte de l’intention de se servir des prix dans un but anti concurrentiel, etc.

Cependant, pour déterminer si des prix sont ou non raisonnables, la comparaison des prix et des coûts du présumé prédateur est nécessaire, mais pas suffisante. Il importe aussi de parfaitement connaître le contexte dans lequel le présumé prédateur et les entreprises rivales se font concurrence. Quelques questions permettent de mieux apprécier la réalité :

  • Le présumé prédateur réagit-il à des réductions de prix d’une entreprise concurrente ou en a-t-il été l’auteur ?
  • Depuis combien de temps ces prix sont-ils en vigueur sur le marché ?
  • Est-ce qu’il y avait une surcapacité chronique dans l’industrie menant les entreprises, ainsi que le présumé prédateur, à pratiquer des prix qui visent en toute honnêteté à minimiser les pertes dans un effort pour demeurer rentables et conserver leurs parts du marché ?

En effet, de nombreuses actions, qui ne sont pas assimilables à une stratégie prédatrice consistant en l’élimination pure et simple de la concurrence, peuvent conduire momentanément les entreprises à avoir un coût variable moyen supérieur à leurs prix. Ainsi, une entreprise efficiente peut réaliser une marge sur coûts variables positive tout en fixant son prix à un niveau inférieur aux coûts de production d’entreprises inefficientes ou moins bien organisées.

Les prix promotionnels sont souvent utilisés pour faciliter l’implantation sur un marché. À l’heure actuelle se pose le problème des produits gratuits : en contrepartie de l’autorisation de diffuser des publicités, certains fournisseurs d’accès à Internet ou certains opérateurs de téléphonie mobile offrent leurs produits gratuitement aux consommateurs. La pratique étant récente, il est difficile de savoir exactement l’orientation stratégique recherchée, mais la volonté de gagner des parts de marché et celle d’exclure des concurrents peuvent tout à fait coexister.

C’est pourquoi il est important de disposer d’outils pour distinguer les vraies prédations des plaintes déposées par des entreprises souhaitant protéger indûment leurs parts de marché. Certains spécialistes ont même suggéré qu’il ne fallait condamner l’entreprise prédatrice qu’à deux conditions : la victime doit avoir été éliminée du marché et les prix de vente du prédateur augmentent par la suite. De cette façon, les entreprises dynamiques désireuses d’accroître honnêtement leur part de marché ne seraient pas pénalisées.

Ayant une vision assez libérale, Easterbrook (1981) considère même que l’intervention des autorités concurrentielles n’est pas toujours nécessaire et souhaitable, notamment lorsque la stratégie prédatrice ne conduit pas à la création d’un monopole ou n’empêche pas l’entrée d’un nouveau concurrent. Dans ce cas, non seulement parce que les consommateurs profitent d’un important transfert de richesses (le surplus du consommateur augmente), mais aussi parce que le prédateur est suffisamment pénalisé par sa propre politique (perte sèche), il n’est pas économiquement justifié d’accroître la perte sèche par de lourdes dépenses en recours judiciaires.

5.5 Gestion des capacités : une technique moderne de fixation de prix en temps réel

La gestion des capacités (en anglais yield management ou revenue management), aussi appelée «tarification en temps réel», est une méthode relativement moderne de fixation de prix. De par ses nombreuses applications, elle se démarque des stratégies de prix quelque peu théoriques étudiées dans les sections précédentes. Mais nous allons montrer que ses principes de fonctionnement répondent tout à fait à la «logique microéconomique» classique.

5.5.1 Naissance de la gestion des capacités

La gestion des capacités permet de calculer en temps réel le meilleur prix afin d’optimiser le bénéfice lié à la vente d’un produit ou d’un service. En modélisant le comportement de la demande en temps réel, cette technique utilise des systèmes informatiques et des réseaux de communications perfectionnés qui mettent directement en relation l’entreprise et ses multiples points de vente. Elle permet donc de résoudre d’une manière très satisfaisante38 le problème de la confrontation de l’offre et de la demande pour certains produits et services, notamment grâce à une gestion rigoureuse des stocks, couplée à une différenciation des tarifs.

La déréglementation du transport aérien, qui a pris naissance aux États-Unis dans les années 1980, a été le point de départ de la gestion des capacités, qu’on a développée pour faire face aux deux problèmes majeurs auxquels les grandes compagnies aériennes américaines ont été confrontées : d’abord la concurrence de nouveaux entrants, dont les coûts de production étaient très faibles, parfois 50 % moins élevés que les coûts des grandes compagnies telles qu’American Airlines, Delta Airlines, ou TWA; ensuite, l’apparition des systèmes informatisés de réservation (SIR), appelés aussi «GDS» (Global Distribution Systems), tels que Sabre (SIR d’American Airlines), Apollo (SIR d’United Airlines) ou Amadeus (SIR partagé par Air France, Iberia et Lufthansa).

Il est essentiel de bien comprendre ce dernier point. En effet, les SIR ont permis aux compagnies aériennes de communiquer toutes les informations concernant les vols aux agences de voyage et à ces dernières de faciliter les réservations. L’époque où l’agence téléphonait à la compagnie aérienne pour effectuer une réservation est révolue. Les compagnies aériennes, pour garder la maîtrise de la gestion des vols, ont dû trouver de nouvelles méthodes, tant pour la tarification que pour la gestion des sièges au quotidien. Ce sont ces nouvelles méthodes que l’on appelle «méthodes de tarification en temps réel».

5.5.2 Caractéristiques et avantages de la gestion des capacités

Les principales caractéristiques des secteurs ou des produits pour lesquels il est possible d’utiliser la gestion des capacités sont les suivantes :

  • Il s’agit de produits ou de services périssables dont la valeur devient nulle après la date de production (par exemple, tout siège d’avion non occupé lors du vol a une valeur résiduelle nulle).
  • La demande est variable, parfois supérieure, parfois inférieure à la capacité de production, alors que cette dernière, en revanche, est rigide.
  • Le coût variable moyen est souvent très faible, ainsi que le coût marginal. Par exemple, dans le transport aérien, le coût marginal lié à l’occupation d’un siège supplémentaire ne représente qu’une très faible part des coûts fixes supportés par le vol. 
  • La vente des produits et des services s’effectue par réservation.

On pourrait ajouter, bien que cela concerne surtout le chapitre 6, «Stratégies de discrimination par les prix» , que la tarification s’appuie presque toujours sur une stratégie de différenciation. Comme la plupart des segments de clientèle ont des élasticités de prix différentes, la pratique de prix d’appel faibles permet de toucher les clients ayant une forte sensibilité au prix.

Ainsi, tous les secteurs ou les produits possédant les caractéristiques ci-dessus peuvent être gérés grâce à la gestion des capacités. On comprend que le secteur du tourisme soit directement concerné, mais d’autres domaines tels que le fret, la location de voitures ou le commerce électronique peuvent en bénéficier. Il semble que son utilisation ait permis une double amélioration : le producteur connaît une hausse de son chiffre d’affaires et de son résultat, et le consommateur bénéficie de baisses de prix, normalement sans impact sur la qualité du service. En effet, il s’agit d’une optimisation de l’organisation existante, et non d’une volonté de réduire les coûts par des réductions dans les niveaux de prestation. Air France39 pratique la gestion des capacités et indique qu’elle augmente son chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros. Aux États-Unis, les compagnies qui ont utilisé des systèmes de gestion des capacités (American Airlines et Delta Airlines) se sont mieux adaptées au nouvel environnement concurrentiel que celles qui n’ont pas investi dans ces outils (People Express, PanAm). Ainsi, American Airlines a estimé que la gestion des capacités lui a procuré environ 1,5 milliard de dollars de revenu supplémentaire entre 1989 et 1991.

Enfin, le formidable essor d’Internet dans les relations commerciales devrait encore accroître l’intérêt de cette pratique, tant pour fixer les prix de vente que pour gérer les stocks des produits et des services diffusés auprès d’un nombre croissant de consommateurs internautes et d’entreprises.

5.6 Conclusion

L’utilisation croissante d’Internet à des fins commerciales par les entreprises risque de modifier considérablement les méthodes de fixation des prix et les stratégies associées. Ainsi, en Europe s’est développée la pratique des enchères33sur Internet. On parle le plus souvent de «transactions à prix variables», de «systèmes d’enchères» ou de «tarification dynamique» pour évoquer la possibilité de négocier le prix de certains produits ou services. Sur le plan économique, il est possible d’envisager les enchères de deux façons :

  • soit simplement comme une façon de brader les produits, ce qu’une entreprise ne peut accepter de faire systématiquement, sauf sur ses fins de série ou dans le cadre d’opérations promotionnelles;
  • soit comme un moyen d’arriver à un vrai prix de marché, un juste prix, dans l’hypothèse où le marché est bien organisé.

Selon certains spécialistes américains, tels que l’institut Forrester Research, loin d’être un phénomène de mode, les enchères sont appelées à se développer, principalement dans les relations d’entreprise à entreprise(Business-to-Business). Les sites d’enchères pour les particuliers ont obtenu un certain succès, car ils permettent, outre l’aspect ludique, de «sentir» le marché, de retrouver les plaisirs du marchandage et de la négociation, après une longue période de transactions à prix fixes.

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  1. La concurrence par les prix est une partie fondamentale de la théorie de l’oligopole. Nous ne reviendrons pas sur le modèle de Bertrand, traité dans le chapitre 4 sur les structures de marché oligopolistique.↩︎

  2. Selon Kotler et Dubois (1997), le marketing mix se définit comme «l’ensemble des outils dont l’entreprise dispose pour atteindre ses objectifs auprès du marché cible».↩︎

  3. Pour une discussion sur les perspectives données par Sweezy et Stigler et l’importance des anticipations – adaptatives chez Sweezy et rationnelles chez Stigler –, voir Victor E. Smith (1948), p. 205-210.↩︎

  4. On pourra par exemple se reporter à l’article de Garda and Marn (1994).↩︎

  5. Pour une analyse détaillée des différentes formes de demande coudée, on pourra se référer à Bernier and Vedié (1995).↩︎

  6. Pour bien comprendre les graphiques qui suivent et leurs conséquences, il est nécessaire de maîtriser parfaitement le concept de demande résiduelle. À cette fin, les explications consacrées à l’entreprise dominante ou aux oligopoles peuvent vous aider.↩︎

  7. Sauf dans les très rares situations, bien peu réalistes, où le prix de monopole se trouve être le prix limite.↩︎

  8. On dit qu’un équilibre de Nash est parfait (en sous-jeux) s’il est aussi un équilibre de Nash de tous les sous-jeux du jeu considéré.↩︎

  9. Ce modèle est exposé avec davantage de précisions dans Jean Tirole (1995). On pourra aussi consulter John Roberts (1986).↩︎

  10. On retrouve de nombreux arguments dans R. Koller (1992).↩︎

  11. Il nous semble exagéré de parler de solution optimale; le qualificatif «satisfaisante», au sens que lui donne H. Simon (1992), nous paraît plus adapté au contexte.↩︎

  12. À l’instar de ses homologues américains, Air France utilise aussi, dans le cadre de la gestion des capacités, la technique de la «suroffre» ou «surréservation». Cela consiste à vendre plus de places qu’il n’en existe réellement dans l’avion, considérant qu’en moyenne 20 % des passagers ne se présentent pas le jour du vol.↩︎